Petit collectif d’artistes suisses à la sensibilité musicale planétaire, Alma Negra est la réunion de trois sensibilités différentes, trois DJ’s et diggers dont la culture musicale n’a pas laissé indifférent les programmateurs du Macki Music Festival qui les ont par conséquent invités, prévoyant par là une saine (?) alchimie entre l’énergie en puissance chez le public de leurs soirées respectives (Mamie’s et Cracki) et la furie d’un groove tropical et exotique. Désormais signé chez le prestigieux label Sofrito pour un edit spécial Cap-Vert, l’histoire du collectif est celle d’une passion commune et d’une émulation mutuelle qu’essaye de retranscrire cette interview avec les trois protagonistes d’Alma Negra, Mario Robles, Dario Rohrbach & Dersu Figueri, trois artistes qui n’ont pas froid aux yeux car transgressant dans leurs sets les genres et les frontières…
– Salut, pouvez-vous nous en dire en plus sur comment vous êtes arrivé là?
Mario: Et bien j’ai grandi dans l’agglomération de Bâle et j’aurai fini mes études en tant qu’assistant social la semaine avant le Macki Music Festival. J’ai travaillé pendant quatre ans avec des jeunes et ça m’a beaucoup plu, mais tout au long de ma vie la musique a toujours occupé une place très importante. Lorsque j’étais plus petit, mon grand frère m’a dit de choisir un des quatre éléments de la culture hip-hop, j’ai choisi une platine Technics, mais j’aimais également beaucoup la guitare donc j’ai écouté énormément de post-rock et plus tard de l’electro et de la house. En fait, j’ai commencé en tant que DJ new-wave et par la suite j’ai dérivé vers la house.
Dersu : Je suis né à Bâle, ma mère est suisse et mon père est capverdien. J’ai grandi avec de la musique latine et africaine et également beaucoup de soul, de funk et de jazz. Durant mon adolescence, j’écoutais beaucoup de hip-hop mais je regardais toujours les samples de jazz et de soul. J’ai commencé en tant que DJ de funk mais je n’ai jamais vraiment fait de set uniquement funk. J’ai toujours voulu amener du Disco, de l’afro, des morceaux latins et capverdiens dans mes sets et ça a toujours bien marché en soirée. J’ai donc décidé de faire des sets plus éclectiques avec plus d’afro. Aujourd’hui, je m’ouvre à presque tous les styles, même à la house et à la techno parfois ça peut-être fun.
Dario : Salut, je suis Dario Rohrbach aka Chi Coraço, je suis le plus vieux du trio. J’ai également grandi dans la banlieue de Bâle. J’ai des origines portugaises, italiennes et quelques racines suisses. Pour moi, ça a commencé dans la cuisine de mes grands-parents où j’aimais taper sur les poêles et cuisiner des petits plats. Je suis fils de musicien, j’ai grandi entouré par la culture latine et les musiques africaines des 60’s et des 70’s, le jazz, le funk et le rock psychédélique. J’ai accompagné des artistes durant des sessions, même en studio, mon père m’a toujours mis plein d’instruments dans les mains afin que je joue, particulièrement toute sorte de percussions. Plus tard, j’ai commencé à jouer à d’autres instruments, du clavier, de la guitare, de la basse.
À douze ans, j’ai commencé à m’émanciper musicalement, il y avait un « nouveau » mouvement qui s’appelait la house et plus tard la techno. La house était plus musicale tandis que la techno avait ses percussions programmées et moins de mélodies et il y avait tous ces sons incroyables ! En tant que gamin adorant la science-fiction, j’ai toujours aimé les choses venant d’une autre planète. Mon autre coup de foudre pour cette musique, c’étaient les rythmes très puissants et très droits, très africains d’un certain point de vue, car c’étaient des patterns hypnotiques et répétitifs. Ca, en dehors du fait que dans les fêtes, le public ressemblait parfois à une grande tribu passant du bon temps (rires). Ça m’a amené à m’intéresser au mix et à collectionner les disques, j’avais d’ailleurs toujours eu cette passion pour « l’or noir ». Ce n’était plus seulement écouter des vinyles. Ce nouveau mouvement mélangeait tous les sons pour créer un tout continu et infini d’une certaine manière, un mix qui vous met vraiment dans un état de transe. Ça m’a tellement bouleversé que j’ai véritablement décidé d’y dédier ma vie.
– Alma Negra, ça part de quoi finalement ?
Mario : Lorsque j’ai commencé à aller en club à Bâle, Dario était déjà en train de jouer de la minimale dans les meilleurs spots de la ville, mais je savais qu’il était plus éclectique que ce qu’il jouait. Quelques années plus tard, je lui ai demandé de commencer quelque chose de nouveau et Toby du Lady Bar ( un petit club) nous a présenté Dersu, car il cherchait à jouer de l’afro, du funk et des musiques latines. Notre première date était dans la petite salle de l’Hinterhof Bar où généralement on pouvait écouter de la House. Ce premier essai était très concluant donc nous avons décidé de travailler ensemble.
Dario : Bien j’ai toujours acheté des disques s’écartant des usuelles choses mixables que je jouais à l’époque. J’ai également toujours cherché de nouveaux sons, de nouvelles émotions, de nouvelles couleurs à pousser sur le dancefloor. De plus en plus , j’ai commencé à m’écarter de la voie « conventionnelle » pour mixer en dehors des barrières et des bangers dancefloor, j’ai commencé à faire comme des remixes live de trucs allant du Rap à la dance musique en passant par la Drum N’ Bass et la World Music. Je connaissais Mario des soirées et je connaissais son intérêt particulier pour la musique latine et les rythmes africains
– Vous êtes tous les trois originaires de Bâle en Suisse, comment y sont représenté les artistes locaux et plus largement mesure comment est accueillie la musique que vous jouez en Suisse ?
Mario : En fait, il n’y a pas vraiment de grande communauté Afro-Tropical, peut-être plus à Genève et dans la partie française de la Suisse. Ici il y a deux DJS de funk cool qui ont tous les bons disques d’afrobeat et qui sont reconnus de toute la scène funk et il y a une petite communauté funk avec des gens ouverts à ce genre de musique. Il y a peu d’intérêt pour les DJS qui joue de manière éclectique et des disques qui sortent de l’ordinaire, le reste de la scène est essentiellement concentré sur la house et un peu sur le disco et la techno. Il faut bien comprendre que c’est une petite ville et que ce n’est pas une musique très traditionnelle ici, c’est une des raisons évidentes qui fait que beaucoup de gens nous jamais entendu parlé d’afro beat.
Dario : Comme Mario le disait, il n’y pas vraiment de communauté pour ces sons et s’il y en a une elle se retrouve éclatée dans différentes cultures communautés et pays dont les différents compositeurs proviennent. Ce truc de mettre toute la world musique dans un style, c’est un phénomène assez nouveau.
– Comment en êtes-vous venu à ce type de musique en particulier ? Si l’on regarde en arrière et que l’on se penche sur vos premières découvertes, quelle posture adoptez-vous face au chemin parcouru par chacun d’entre vous ?
Mario : Bien j’ai vraiment beaucoup appris et j’apprends encore beaucoup de Dersu et Dario. Dersu m’a ouvert au monde de la soul, du funk et du jazz tandis que Dario mixe de manière fougueuse avec de longues transitions sur de l’afro beat avec des disques de tout style. Il y a des dates où l’on va jouer des trucs ultras éclectiques en allant du garage rock au funk thaïlandais en passant par le disco. Généralement, on essaye de rester là ou il y a un côté black soul (Alma Negra), car c’est ce qu’on fait le mieux. La dernière fois que Dario a joué c’était juste incroyable. Je n’oublierai jamais la première fois que j’ai vu des gens danser pour de vrai, pas ceux qui glandouillent et qui regardent autour d’eux l’air blasé.
Dario : Pour faire simple et concis, c’était et c’est toujours le souhait d’apporter de nouvelles émotions sur le dancefloor qui me motive. La seule différence, c’est qu’avant il n’y avait pas internet qui permettait de télécharger toutes les nouveautés en deux secondes chez soi. Il fallait se bouger le cul, voyager, digger comme un chien pour chopper les nouveauté ou les nouvelles tendances surtout lorsqu’on ne vient pas d’une capitale comme Paris, Londres ou New York, … il fallait travailler dur. C’était quelque chose de spécial de rentrer chez soi et de montrer à ses amis ce qu’on avait trouvé. Il fallait faire quelque chose pour obtenir la musique. On travaille toujours de cette façon maintenant plus que jamais. Comme je ne suis pas le plus grand fan des fichiers digitaux, j’aime plus que jamais les sensations que procure le digging pour de la musique qui n’existe même pas forcément sur Discogs et qu’on ne voit pas forcément sur des vidéo Youtube.
– Comment s’est faite la connexion avec Sofrito ?
On a tous diggé Sofrito et on a tous fait la fête sur la musique du label, on aime tout le catalogue. Dersu nous a montré la musique du Cap-Vert, on a fait quelques édits et on les a envoyé à Hugo Mendez qui nous a immédiatement contactés pour travailler avec nous.
– Y a-t-il une communauté transnationale des amoureux de sons tropicaux et caribéens ?
Mario : On a commencé à le remarquer depuis que les gens de l’autre côté de la frontière française et aussi à Genève ont commencé à nous inviter . À Hambourg, c’était tellement cool de jouer dans un beau club. La solidarité est énorme comparée aux autres circuits notamment celui de la house. Les gens se battent pour mettre en avant de la musique hors du commun, communiquent entre eux afin d’organiser des tournées pour des groupes justes parce qu’ils aiment bien. Dans la scène house, j’ai remarqué qu’il y a un jeu d’échange de booking il y a souvent un but sous-jacent et ce n’est pas parce que la musique est exceptionnelle. C’est un paradoxe, car les DJ’s House très connus qui jouent pour 2000 euros jouent les mêmes disques que les DJ’s locaux, donc il n’y a pas vraiment de nouveauté dans le son. De nos jours, les DJ’s sont fréquemment bookés parce qu’ils sont producteurs et non diggers, c’est certainement la plus grande différence avec la scène tropicale.
Dario : Ça dépend de la façon dont les gens sont ouverts mais cette communauté émergera sûrement de plus en plus. Il y a tellement d’influences entre les différentes cultures, personne d’honnête ne pourra nier que l’Afrique est en train de prendre du poids dans l’art, dans l’économie, dans le divertissement, … Dans tous les cas, les gens sont saoulés d’entendre des choses qu’ils ont déjà entendues 2000 fois. L’Europe dispose d’une culture vieillissante, les États-Unis mettent parfois en avant quelques profils intéressants. J’aime beaucoup les efforts de la nouvelle génération qui essaye vraiment de mettre beaucoup d’âme et d’amour dans ce qu’ils font surtout sur la scène tropicale ce qui me rend super joyeux d’en faire partie. Comme je le disais, je pense que c’est une future façon de faire la fête en terme de dance music. Cette tendance à l’éclectisme est déjà en train de se développer. Si tu veux faire la fête non-stop, il faut vraiment jouer certains sons pour faire entrer les gens dans une certaine transe . Mais après il faut savoir casser cette magie pour pouvoir la faire reprendre de plus belle.
– La culture de la diversité semble être le maître mot de votre perception du djing. Si vous deviez résumer un bon DJ set d’Alma Negra en une petite phrase, ça sonnerait comment ?
Dersu : Je pense que ce qui plaît c’est la dynamique que nous créons tous ensemble lors d’un set. Nous aimons tous la même musique mais nous avons tous notre singularité et des intérêts musicaux divers et variés donc nous apprenons du fait de notre complémentarité et de notre ouverture. C’est ce qui fait que nous sommes ensemble.
Mario : Si un track doit être joué, il sera joué, peu importe la raison. Il n’y a aucune règle sur ce que l’on peut jouer ou ce que l’on ne peut pas jouer. Le DJ décide ce qui peut être joué et ce qui ne le sera pas, mais c’est bon d’être trois derrière les platines car on peut discuter des moments où l’on prend les risques, on a toujours plus de courage à plusieurs.
Dario : En une phrase, attendez-vous à l’inattendu et laisser parler vos jambes sur le dancefloor !
– Est-ce qu’avoir et défendre une certaine notion de la diversité et d’un genre à part fait que vous vous sentez responsable du lien que vous créer entre les différentes cultures comme médiateurs par exemple ?
Dersu : Oui, je pense que la meilleure fête c’est celle où les gens de tout bord font la fête ensemble, les gens de la techno, de la house, ceux de l’afrobeat et les hippies. Pour moi, c’est important que les gens comprennent que la musique, dans un contexte festif, peut-être un facteur d’union et ça ne doit pas se segmenter à un genre particulier.
Mario : Je ne suis pas sûr d’avoir compris la question, néanmoins je pense que beaucoup de gens ont tendance à s’ouvrir. Je suis plus intéressé à ce qui est commun aujourd’hui. Par exemple, lorsque j’écoute de la musique folk des 70’s d’Iran, de Turquie ou du sud de l’Espagne je ne vois pas une grande différence. Je recherche également des informations sur le contexte sociopolitique dans lequel ces sons ont été créés. C’est vachement excitant d’observer et d’entendre ces changements au travers de la musique.
Dario : Ce n’est pas une question facile, on essaye pour sûr de lier ces différents grooves et ces cultures ensembles mais comme je le disaisn on s’influence les uns les autres, c’est aussi simple que ça. Que ce soit dans le temps les uns après les autres, que ce soit dans l’espace d’une frontière à une autre, c’est le propre de l’humanité ça ne se limite pas à la musique.
– Le futur proche d’Alma Negra ?
Mario : Nous préparons une sortie avec les mecs d’Umoja et avec Mats (Local Talk) de Basic Fingers, bien sûr nous travaillons également d’arrache-pied pour obtenir les licences de ces nouveaux Sofrito. On a quelques sorties dans les tuyaux pour cette année.
Le soundcloud de Alma Negra, c’est par ici. Retrouvez aussi celui de Dario, Mario et Dersu.