Eglo a réussi le pari de réconcilier autour d’un même projet, experts et novices, amateurs de house et amoureux de musiques noires, jeunes et moins jeunes, en un temps record. La récente sortie tant attendue du premier album de Fatima a encore mis tout le monde d’accord. S’il s’agit bien de son premier long format, Fatima traîne derrière elle une expérience musicale riche et a su s’entourer des plus grands producteurs du moment. Retour sur un début de carrière fulgurant aux accents de conte de fées.
Ce sont les abords de Stockholm qui ont vu grandir Fatima Bramme Sey, celle qui deviendra plus tard la Diva Soul 2.0 que l’on connaît aujourd’hui. Née dans un environnement très familial qu’elle revendique dans ses morceaux et interviews, elle manque très tôt d’une présence paternelle. Cette absence causa, selon ses dires, un vide jamais comblé qui influença sa musique dès son plus jeune âge. C’est en voulant matérialiser cette douleur qu’elle fit ses premières armes dans le chant pour lequel elle présente un don précoce. Ses 11 années passées dans les chorales scolaires lui donnent le goût pour la scène, les répétitions, l’apprentissage et le dépassement de son art. La passion de sa mère pour les musiques noires lui confère une approche très old school du chant et une culture Gospel perceptible dans le timbre de sa voix. Toujours grâce à sa mère, Fatima a beaucoup voyagé en Afrique et importait régulièrement des Djembes, habits, bijoux & accessoires venus tout droit du berceau de l’humanité.
Après un premier déracinement pour un court séjour en Suisse, ce n’est qu’en 2006 qu’elle part voler de ses propres ailes et trouve refuge à Londres. Séduite par une performance de Skinnyman vers King’s Cross dès son arrivée, c’est la révélation : Londres sera sa ville. C’est bien connu, le succès tombe toujours lorsque l’on ne l’attend pas. En traînant ses guêtres dans les clubs les plus obscurs de la capitale du Royaume Uni (Plastic People, Scala…), elle attrape de temps à autres le Mic et pose sa voix sensuelle sur les instrus des DJs invités, lorsque ceux-ci lui autorisent… De fil en aiguille, elle tisse des liens amicaux avec Alexander Nut, Sam Shepherd (officiant déjà sous son alias Floating Points) et leur bande. En grand amateur de musiques de qualité, Alexander Nut l’invite sur le plateau de son émission sur Rinse : à l’époque, son projet de création de label n’en est qu’à l’état embryonnaire. Ce n’est que lorsque le projet Eglo commence à prendre forme que Sam Shepherd et Alexander Nut font appel aux talents de la chanteuse pour lancer le label.
La suite de l’histoire est une incessante montée en puissance. Très vite introduite auprès de producteurs qui, plus tard, compteront parmi les plus grosses pointures de la house et du beatmaking, Fatima a tôt fait d’embrayer sur un premier EP sous l’impulsion de Floating Points : Mindtravelling voit le jour et impressionne déjà par son aboutissement. Produit par un FunkinEven qui commence tout juste à se faire une place de choix dans le label et un DâM-FunK qui vient de casser les codes du beatmaking made in LA, ce premier EP mélange habilement une soul vocale puriste avec des productions avant-gardistes. Le suivant, Follow You, bien que plus introspectif, atteste de la parfaite synergie entre Fatima et son label manager, Floating Points, qui ne se quitteront plus vraiment. L’année suivante, Eglo fait fort et signe une collaboration de 4 morceaux – tous aussi bons les uns que les autres – entre la diva et le prolifique FunkinEven. Résultat explosif : Phone Line convainc avec sa Nu Soul et son côté New Jack / R’n’B revival, sa puissance et son groove qui fleure bon l’été. Succès inespéré au rendez-vous, Eglo clippe le titre éponyme qui fait le tour du monde. Tous deux, Fatima et FunkinEven sont désormais bel et bien installés dans leurs paysages respectifs.
Eglo et Fatima ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin. Celle-ci multiplie les collaborations. Elle fait dans la quantité mais n’oublie pas de choisir ses partenaires avec une extrême précaution. On retrouve ainsi ces 2 dernières années, entre autres, Shafiq Husayn (Sa-Ra), Scratcha DVA, Dorian Concept, Ras G, Benji B et Teebs. Ce n’est que l’année suivante qu’Eglo fait une annonce de taille : la sortie de Family / La Neta, produit par le génial fLako est annonciateur d’un album qui verra le jour en 2014. Immédiatement, l’attente dans le noyau de fans se fait grande. Et lorsque le voile est levé sur ce premier long format, personne ne bronche. Yellow Memories n’est pas à la hauteur des attentes. Il est au-dessus. Jonglant entre plusieurs villes (Londres, NY, LA), elle a mis 2 ans à accoucher de cette merveille qui a bénéficié de la totale liberté artistique qu’offre Eglo. Et disons ce qui est : un premier album, ça ne se torche pas. L’environnement familial du label l’a également conforté dans l’ambiance qu’elle souhaitait offrir à ce disque.
Yellow Memories déploie une armée de producteurs qui anticipent la musique électronique en 2014 et qui ont fait de cet album ce qu’il devait être : une représentation moderne de la Soul. Les talents de la chanteuse, le génie de Theo Parrish, la rigueur de Knxledge, la fougue de Scoop Deville, l’habileté de fLako, les arrangements de Floating Points, la maîtrise de Oh No et les rythmiques de Computer Jay se marient parfaitement et marquent un nouveau pas dans l’histoire du label. L’engouement autour de cette sortie est parfaitement maîtrisé, et comme Eglo est une maison qui ne déçoit pas, une prestation live a été anticipée : sous l’égide d’Alexander Nut, un groupe a été monté autour d’Oliver Daysoul – qui participe également à l’album – et de musiciens qu’il a minutieusement choisi. Le Eglo Live Band est né, et accompagnera les artistes du label sur leurs prochains lives, et ceux-ci seront dorénavant en mesure de proposer une alternative à leurs DJ sets.
Fatima affirme dans certains entretiens qu’elle souffre du syndrôme de l’imposteur. Dure avec elle-même, elle s’auto-critique et pense ne pas mériter son succès. De notre côté, nous prenons part avec plaisir à cette aventure à travers la musique noire, du R’n’B très formelle aux ballades jazz nouvelle génération. L’avenir musical de Fatima s’annonce sous les meilleures auspices.
Fatima & The Eglo Live Band sera en live à Paris le dimanche 6 juillet.