Un sentiment tout à fait étrange. Le récent album de Kassem Mosse est un effort ambigu dans lequel on se perd d’abord avec plaisir, dont la retenue nous rattrape ensuite ; tout entier, Kassem Mosse nous ravit les onces de notions emmagasinées à longueur d’écoute de house ou de techno, de downtempo ou de dupstep : il les empoigne et les fourre bien profond dans sa poche, nous emmène avec lui et dans le noir au travers de paysages souples et tranchants, de montagnes molles, de mers d’acier. Il nous délivre une musique froide et enjouée, à la fois évidente et déstabilisante, inconnue et tout à fait proche. Puis l’idylle disparaît, fait place aux barbelés d’une musique coincée dans son temps.
Workshop 19 et ses neuf pistes sans titres font office de premier LP pour Gunnar Wendel. Habitué à la collaboration avec le pointu label berlinois Workshop (3 EP depuis 2006), le jeune allemand y assoit un peu plus sa réputation de producteur déroutant : neuf pistes aussi agréables à écouter au fond d’un bon fauteuil, thé à la main et carrés de chocolat, qu’au climax d’une fête moite à la sueur humaine dégoulinante des plafonds. Et l’un ou l’autre contexte ne semble jamais prendre l’avantage : nous n’avons en fait aucune idée du pied sur lequel danser – si toutefois, il faille danser.
C’est une techno lente, très lente, une house grasse et sèche – des lèvres gercées par le froid et tartinées de beurre de karité – constamment dans la retenue, une musique cérébrale, entêtante et logique, fermant la porte à tout accès de folie.
Nous lâchons pourtant prise rapidement : le temps de s’échauffer les doigts sur quelques accords de piano, de vagues tests de synthétiseurs et d’associations de diverses boites à rythme; tout se met en place un peu au hasard, une voix se balade, le groove nous prend et nous laisse – immanquablement me vient le Worldrecord Holder de Pile, le Chitchat on Sunset de Markus Nikolai, le Perlon des débuts. On se perd d’allers et retours de sonorités qui semblent ponctuelles et qui pourtant reparaissent sans arrêt, réglées à la partition avec une précision sans faille ; à l’image d’une société équilibrée, tous les instruments évoluent ici à leurs rythmes propres, dans un chaos contraint, et tous œuvrent – peut-être même sans le savoir – à une cause commune : « there is a way to each and everything ».
Le désordre contrôlé déroute un temps puis les références se font plus directes, perdent en saveur. Familières, elles nous ré-ancrent dans des états que l’on connait déjà alors on sourit puis on s’ennuie : des lignes de synthétiseurs des années 80 « Metal Dance » – Untitled A2 et Untitled B2, des mélodie dance/transe des années 90 qu’il serait peut-être temps d’oublier – Untitled A3, un goût toujours plus prononcé pour les sonorités world – Untitled C1 et Untitled D1. Un petit peu à regret, nous nous sommes habitués de ce schéma devenu classique dans la composition électronique et ce Workshop 19 ne nous surprend plus vraiment : il reste néanmoins un album correct, simplement délaissé de toute magie.
Note globale : 2/5
Vous pourrez retrouver Kassem Mosse en live le 10 mai 2014 pour la Workshop Family Night au Rexclub à Paris