Parmi les jeunes labels parisiens, il en est encore plus parisien que les autres. Quentin Vandewalle, DJ sous le nom de Zaltan et fondateur principal d’Antinote, ne vous dira pas le contraire. Arrimé à son espace de jeu et de vie centré autour du 11e arrondissement, Quentin officie depuis déjà longtemps dans la capitale derrière plusieurs casquettes qu’il arbore avec un style bien français que n’ont pas manqué de remarquer nos confrères de Resident Advisor lors d’un focus « Meilleur label du mois » en mai 2013 : DJ et patron d’un label donc, mais aussi digger et disquaire occasionnel chez Vinyl Office – petite échoppe où venir chercher des raretés – situé au numéro 9 de la rue Trousseau. Et pas n’importe quel digger. On parle d’un digging de haute voltige. D’où des dj sets surprenants, inattendus, éclectiques surtout. Quoi de plus salutaire dans cette époque où le vinyle refait surface qu’un éthos comme le sien ? Rencontre avec un passionné.

– Peux-tu te présenter et nous dire comment on en arrive là où tu en es aujourd’hui ?

Me présenter oui, je suis un homme de 28 ans, je suis en couple et j’ai un enfant. J’habite dans le 11e arrondissement de Paris depuis une dizaine d’années. Où en suis-je aujourd’hui ? Je ne suis pas sûr d’être la meilleure personne pour le dire… Pour le moment je fonce tête baissée, je fais en sorte que les projets se réalisent et j’essaie de m’éclater avec mon projet de label. Je n’ai pas tellement l’occasion de prendre du recul sur ce que je fais. Je n’ai pas de plans, je ne calcule pas tellement ce que je fais ni où je vais. Je n’ai pas de planning serré pour mon label… Je fais ça au jour le jour et je sors sur Antinote ce qui me plaît. Ça fait donc deux ans que je travaille dessus et je suis assez content de la forme que prend le catalogue. Pour moi, il faut que le label reflète la manière dont je conçois la musique, dont je construis ma collection de disques perso. Je pense qu’on peut partir dans tous les sens et mettre toutes les musiques au même niveau. Dance ou pas dance, vibes sombres ou ambiance lover, démarche ultra spontanée ou travail hyper léché, vieilles archives ou projet tout frais. Je crois que je m’en fous un peu en fait.

Geena

-Qu’as-tu déjà sorti sur Antinote ? Peux-tu décrire un peu chaque release ?

Le label compte aujourd’hui huit références et cinq artistes : Iueke, Syracuse, Albinos, Geena et Nico Motte par ordre d’apparition. Pour Iueke, il s’agit d’archives techno unreleased… J’ai ensuite sorti le premier disque de Syracuse. Un groupe actuel dont le noyau dur est Antoine & Isa. C’est aussi et surtout un groupe de live qui propose des lives à géométries variables : d’un live “club” à deux jusqu’à une formation de cinq musiciens sur scène. On attend un 7” de Syracuse dans les semaines à venir. Deux titres plus psychés, hyper planants, dont un qui a d’ailleurs été choisi pour la compilation Air France 2014. L’année dernière on a eu la chance de faire deux disques d’Albinos qui nous a servi une house “bleep” avec un côté afro, un son ultra spontané, pris sur le vif. J’ai aussi rencontré Geena qui bosse une house sombre et cash. On attend un deuxième disque d’ici un ou deux mois avec six tracks brûlants. Nous venons de sortir le premier disque de Nico Motte, notre graphiste, qui a plein de synthés et qui sait bien s’en servir. Cinq titres de pression analogue donc, avec au programme : angoisse, industrie, disco froide, homme-machine, robot sentimental, ville grise et déserte.

409170_10150486047659915_117226879_n

– Aux origines de ton label, il y a donc cet ami à toi, Gwen Jamois, présent d’ailleurs sur ce premier vinyle que vous avez sorti sous le pseudo Iueke que tu évoques. Au fil des interviews que tu as donnés pour Juno ou RA, on découvre ce personnage fascinant qui a vécu la vague acid à Londres, qui a été là-bas DJ et producteur, qui a invité à Aphex Twin à jouer et qui enregistrait ses productions de façon semi-clandestine dan un studio, sur des cassettes, un peu à l’arrache si j’ai bien compris… Quel était ton état d’esprit quand vous vous êtes rencontrés, comment t’es venu l’idée de sortir ses productions ?

Nous avons effectivement créé le label autour de la première sortie de Iueke. Antinote c’est trois gugusses dans un bar à Aligre, le Baron Rouge. Gwen avec ses vieilles cassettes technos, Nico Motte avec ses images et moi le jeunot de la bande, ultra chaud pour sortir les archives de Iueke. Ça aurait été dommage que la musique qui dormait sur cassette dans une boite à chaussure depuis plus de 20 piges ne voie jamais le jour. On a donc commencé le label comme ça, annonçant par ci qu’on allait faire que des archives technos oldschool avec tous les  vieux copains de Gwen et par là qu’on ferait bien ce qui nous chante : Gwen est parti revivre à Londres, j’ai continué le label tout seul et c’est la deuxième option qui a pris le dessus. J’en suis bien content. Antinote, c’est devenu un truc local avec des artistes du coin essentiellement. Des newcomers jusque-là, des artistes locaux en général pour la suite. Cela peut encore bouger bien entendu. Je ne veux en aucun cas me mettre de barrières, ni artistiquement, ni humainement ou encore géographiquement. Pour ce qui est de Iueke et de son background, c’est sur qu’il y a de quoi faire. Du pain béni pour les journalistes. Surtout que Gwen sait très bien raconter des histoires et planter des décors de rêve. Donc oui, ça vaut le coup de l’écouter sur ce genre de truc. Au-delà de ça, la musique qu’il a en stock me touche énormément et je suis hyper fier d’être au travail sur une anthologie de cette envergure. Ce n’était pas évident de lancer la machine, mais je pense qu’on tient le bon cap.

– Vous avez beaucoup de points communs dans votre pratique du digging, qu’est-ce que cela représente pour toi dans ta vie de tous les jours ? Tu arrives à ce que ça ne te prenne pas trop de temps ?

Chercher des disques c’est un plaisir. Si ça commence à te prendre le chou et te rendre zinzin, je ne vois plus l’intérêt. Pour Gwen c’est différent, car c’est sa profession. Il vit de ça et fournit des grosses pointures en disques obscures. De mon côté, chercher des disques me nourrit. C’est indéniablement une source d’inspiration et de plaisir intarissable. J’écoute toutes les musiques et je m’efforce de les mettre toutes au même niveau. J’essaie de ne rien négliger et d’être le plus curieux possible. Et c’est sur qu’à chaque fois qu’il y a un petit bac de disques, il faut que je mette mon nez dedans.

Zaltan

– Cette house un peu dingue que des gens comme toi ou DDD (aka The Hustler) ont fait découvrir à des gens de ma génération, tu penses que ça va continuer à enfler et prendre de l’importance ou qu’on est dans un cycle et/ou un effet de mode ? Quel est ton avis sur ce truc un peu phénoménal qui se passe à Paris en ce moment ?

Avec Xavier (DDD) on se connaît depuis des années maintenant. On s’est rencontré via Discogs au début des années 2000. C’est notre Meetic à nous. Je pense que ce que tu appelles “house un peu dingue”, ce sont les disques anciens, un peu obscurs et déglingos qu’on peut passer. Si nous pouvons vous faire découvrir des disques rigolos et vous faire kiffer dans ce sens, c’est excellent, c’est ça qui me rend heureux, merci. Xavier et moi avons beaucoup cherché dans le passé. A mon avis, c’est la meilleure façon de comprendre le présent et ça permet de mettre le doigt sur les artistes ou labels qui font avancer le schmilblick. En tant que DJ, j’aime mélanger les genres, comme je l’ai expliqué avant, mais aussi les époques. Quand tu parles de cycle ou de mode par exemple, je vois beaucoup de disques qui sonnent comme de la house NYC 90’s à la Kerri Chandler en ce moment chez les disquaires. C’est bien, mais je pense que sorti de son contexte, et si les jeunes producteurs ne cherchent pas à aller plus loin que ce qui se faisait à la perfection, il y a 20 ans, eh bien oui, cela risque de s’essouffler très rapidement. Il y a bien entendu des hypes éphémères et cycliques mais je pense que la bonne musique ne se démode pas – et cela dans tous les genres. Je pense aussi que pasticher les grands de l’ancienne école est voué à l’échec. Quant à l’impulsion parisienne actuelle, c’est évidemment extrêmement positif.

– L’artwork occupe une place très importante dans votre esthétique, ça colle bien avec votre identité multiple. Qui s’occupe de ça et comment travaillez-vous ?

Nico Motte et son duo Check Morris travaillent sur l’image du label. Je lui fais une confiance totale. Je ne valide même pas les artworks. C’est lui qui décide, Antinote est son labo perso. Je n’ai pas à m’en mêler et je suis fan de son boulot. Totale carte blanche.

– Ce foisonnement dans la direction artistique du label, ce n’est pas commun et ça fait du bien. On respire un peu. Au fond, Antinote c’est un label de passionnés qui veut parler à tout le monde, non ? Tu penses qu’il est possible d’éclater les murs un peu étanches que les gens construisent entre les genres aujourd’hui ?

J’ai l’impression que les frontières musicales sont de plus en plus abolies. Comme je te disais, j’essaie de mettre les genres musicaux au même niveau sans a priori. C’est ce que j’ai souhaité faire dès la deuxième sortie du label avec Syracuse qui vient juste après la techno orageuse de Iueke. On m’a parfois accusé de faire de la provoc’ mais j’ai eu de bons retours finalement, des gens qui me disent être fans de Iueke comme des morceaux les plus relax de Syracuse. Si à mes teufs je peux avoir des baboss, des cyberpunks, des rastafaris et des raveurs qui dansent ensemble sur de l’italo, ça m’éclaterait !

Nicolas Motte

– Tu as l’air d’avoir un rapport privilégié avec les artistes de ton label, non ?

Effectivement, je ne me verrais pas sortir la musique de quelqu’un que je n’ai jamais rencontré. Pour moi, la dimension humaine est vraiment importante. Je reçois beaucoup de démos, j’essaie de les écouter et de répondre si je trouve qu’il y a un truc. Mais vraiment, je ne pourrais pas sortir un disque d’un type que je ne connais pas. Si c’est ça un rapport privilégié alors, oui, j’ai un rapport privilégié avec mes artistes. C’est aussi pour cela que je n’ai pas énormément d’artistes sur le label et que je souhaite développer des relations à long terme – même si c’est facile à dire sur le papier. Je m’investis énormément sur les projets des autres, tant sur le plan humain que sur le plan financier, artistique… Je n’aime pas tellement les one shot, ce n’est pas une idée qui me séduit.

– Dernière question : vous avez fêté récemment les deux ans d’Antinote à La Java, quoi de neuf pour Antinote et Zaltan dans les prochains mois ?

Pour Antinote, j’ai pas mal de choses en tête. Un nouveau Syracuse, un nouveau Geena sont sur la route. De nouveaux artistes sont en train de nous rejoindre, j’annoncerais tout ça bientôt. Je travaille avec Voodoo Agency depuis peu : des teufs Antinote sont donc en train de se mettre en place, des DJ sets pour moi en tant que Zaltan car j’adore ça et il y a aussi notre émission sur Rinse.fr qui me permet de faire vivre ma discothèque et qui m’autorise à passer toute la musique que je veux.