Mount Kimbie est ce que l’on peut appeler un groupe dans l’air du temps. Non pas par rapport à la hype qui grandit autour du duo depuis maintenant quelques semaines et dont la Boiler Room de mardi dernier en était un bel exemple, mais par rapport à une toute autre dimension. Mount Kimbie est un groupe dans l’air du temps car il sait se renouveler, évoluer et prendre le meilleur de ce qu’il fait pour le sublimer et créer ainsi une musique puissante et intime à la fois. Mais aussi parce que l’oeuvre de Mount Kimbie, prend ses racines et se développe dans l’un des plus beaux sentiments humains, l’amitié. Une amitié prolifique qui est donc à l’oeuvre dans le second album de Dominic Maker et Kai Campos, “Cold Spring Fault Less Youth”, qui sort ce lundi 28 Mai chez Warp Records et qui pourrait marquer un tournant dans la carrière du groupe britannique.
Une carrière qui débute en 2009, peu de temps après leur rencontre à l’université de Southbank à Londres, et avec la sortie de leur premier Ep Maybe sur Hotflush Recordings, le label de Scuba. Quatre morceaux assez mélancoliques, bien marqués post-dubstep et avec un son particulier, basé sur la répétition des samples et une sorte de discours entre plusieurs textures sonores. Mount Kimbie trouve son style et le peaufine avec Sketch On Glass puis avec son premier album, Crooks & Lovers, sorti durant l’été 2010. Le duo londonien étonne par la pureté et l’originalité des ses productions et qui, sur chaque morceau, nous transportent d’un univers à un autre: du dubstep à l’ambient, de l’IDM à la UK Garage. Une pâte remarquée par la presse spécialisée et par la scène locale, puisque le groupe sortira même un Ep de remix sur lesquels contribueront James Blake et Faltydl. S’ensuivent trois années riches en événements, où le groupe partage son temps entre des concerts aux quatre coins du monde et la préparation de leur nouvel album. Trois ans c’est long, mais au final pour ce que les deux amis nous livrent avec Cold Spring Fault Less Youth, l’attente valait le coup.
Dès le premier morceau, “Home Recording”, on replonge dans l’univers Mount Kimbie mais avec l’étrange et surprenante sensation que le groupe a mûri. L’ambiance y est beaucoup plus chaleureuse, avec parfois même un côté acoustique. Les vocals sont affirmés, mis en avant et donnent un vrai rythme à chaque track. On a parfois presque l’impression d’entendre un vrai groupe et plus seulement Dom et Kai, les deux petits producteurs qui avaient la vingtaine quand ils ont commencé à produire de la musique dans leur chambre d’étudiant. A noter, la présence du jeune King Krule sur deux morceaux poignants, et l’excellent “Made To Stray”, qui pourrait prendre des airs de tube de l’été pour hipsters. Malgré un léger manque de constance, Cold Spring Fault Less Youth est un très bon album, qui amènera sans doute Mount Kimbie au stade de groupe incontournable de la scène électronique-indie britannique, au même titre que SBTRKT, James Blake ou The XX. Mount Kimbie sort de son carcan “underground” pour prendre une dimension beaucoup plus universelle et populaire, mais sans sacrifier la qualité de son travail et même parvenir à faire quelque chose de remarquable. C’est en ça que c’est un groupe dans l’air du temps et qu’il était indispensable pour nous de leur poser quelques questions.
– Dom, tu dis qu’il « s’agit d’être respectueux l’un envers l’autre » dans une collaboration artistique et dans votre cas, musicale. Qu’entends-tu par là ?
Dom : Je veux dire qu’on a développé une façon très particulière de travailler ensemble. Au tout premier niveau du processus d’écriture et de composition, on fait ça un peu chacun de notre côté. On se donne du temps et de l’espace pour explorer nos idées respectives. Ensuite, on se montre l’un à l’autre ce qu’on a eu comme idées et les choses qu’on aimerait développer. Il faut être dans le même état d’esprit tout en sachant respecter le choix de ton collaborateur et savoir l’écouter.
– Plus que du respect c’est une amitié qu’il y a entre vous deux. Qu’es-ce que vous avez pensé l’un de l’autre quand vous vous êtes rencontrés pour la première fois ?
Dom : Moi j’ai pensé que Kai était cool ! On s’est rencontré parce qu’on traînait avec la même bande de potes et qu’au final on avait les mêmes centres d’intérêts. On parlait de musique, de foot, de cinéma,… Commencer à faire de la musique ensemble s’est un peu fait naturellement et ça s’est tout de suite très bien passé. On avait chacun notre groupe ou nos projets musicaux avec d’autres personnes. Puis un jour Kai m’a montré Fruity Loops. J’ai passé des heures entières dessus à trouver des sons cools. A ce moment là, on s’est dit qu’il fallait qu’on fasse un truc ensemble.
– Comment est-ce que votre relation a évolué au cours de ces quatre dernières années ? Vous êtes tout le temps fourrés ensemble ?
Dom : C’est vrai que ces quatre dernières années on a passé la quasi totalité de notre temps ensemble. Aussi parce qu’on a fait beaucoup de concerts et qu’on a joué un peu partout dans le monde. Comme je te le disais, dans les premières étapes de nos périodes de productions, là on passe du temps chacun de notre côté à explorer des sons. Mais c’est vrai qu’après on aime bien se retrouver et bosser ensemble.
– C’est vrai que vous avez joué partout ! D’ailleurs, comment se sont passées ces deux dernières années, depuis la fin de votre tournée, jusqu’à la sortie de votre second album ? Quelles ont été les étapes les plus importantes ?
Kai : D’abord il y a eu un retour à la « vie normale ». On a fait un petit break histoire de se reposer, de profiter de nos proches et de nos amis, mais aussi pour être bien d’attaque pour préparer le second album. C’est vrai que les trois dernières années ont été bien remplies pour nous et on a eu la chance d’aller au-delà du stade qu’on espérait atteindre quand on a commencé à faire de la musique. Je pense que du coup, cet album reflète bien notre état d’esprit actuel.
– C’est ce qui te fait ressentir que depuis la sortie de votre premier album vous avez appris à « être de meilleurs artistes » comme tu as pu l’évoquer ?
Kai : Faire un second album est quelque chose de très jouissif parce que tu te sens plus en confiance dans ta méthode de travail et ton processus de production. Quand je dis qu’on a appris à « être de meilleurs artistes » c’est surtout parce qu’on a appris à prendre de plus gros risques. Pour moi il y a ces deux notions dans l’idée d’artistes : la confiance dans ton travail et la prise de risque.
– Maybes, Sketch On Glass et Crooks & Lovers ont été enregistrés dans un studio qui était dans l’une de vos chambres, c’est bien ça ? Vous avez enregistré “Cold Spring Fault Less Youth” dans les mêmes conditions ? Comment s’est déroulé l’enregistrement ?
Kai : Non, il y a eu une grande différence. On a loué un lieu juste à côté de là où on habite. Une sorte de fond de commerce qui ne devait pas du tout servir à des activités musicales. On a mis tout notre matos là-bas et c’est devenu en quelque sorte notre studio. On peut y passer le temps qu’on veut et sans déranger personne. Mais ça ressemblait un peu à notre chambre de l’époque où on a composé et enregistré nos premiers morceaux. Après pour l’enregistrement on est allé dans un vrai studio professionnel. On y a fait les batteries et toutes les percussions.
– « Cold Spring Fault Less Youth ». Pourquoi avoir choisi ce nom ? Qu’est-ce que ça vous évoque ?
Kai : Quand on a fini l’album, on a eu tous les deux un même sentiment, une impression totalement abstraite mais assez forte dûe au fait d’avoir accompli et terminé un long travail. Mais on n’arrivait pas à nommer ce sentiment, juste à le décrire avec notre propre imaginaire, avec nos propres mots. Et ça a donné ça : des mots qui, pris un à un ont une signification et un sens, mais qui, mis ensemble, ne veulent rien dire mais dégagent cette impression qu’on a eu.
– Tout le monde a dû vous dire que cet album est moins électronique que le précédent. D’où vous est venue l’envie de changer de registre et d’univers comme ça ?
Kai : En fait on avait déjà fait pas mal de trucs comme ça, beaucoup moins électroniques donc ce n’était pas non plus une nouveauté pour nous. Après il y a plusieurs facteurs qui nous ont amené à faire ce choix : sur cet album on a eu le temps, l’espace, les moyens de nous lancer dans quelque chose de plus acoustique. On a aussi rencontré des gens qui nous ont soutenu dans notre démarche. C’était une opportunité qu’on n’avait pas eu auparavant, car tout était digitalisée à l’époque. On a voulu recréer et transmettre l’énergie qui se dégage de nos lives, et ça c’était très important pour nous parce que ça fait partie du « Mount Kimbie » actuel.
– J’ai beaucoup aimé le côté acoustique de l’album. Ça sonne plus comme un « vrai groupe ». Ça a dû être difficile de réussir à avoir ce son-là ?
Dom : Oui et non ! En fait il y avait beaucoup de morceaux qu’on avait déjà joué en live bien avant de finir l’album. Du coup on était bien rodé et on savait ce qu’on voulait. Mais la plus grande difficulté ça a été de capturer cette énergie qu’on a sur scène comme Kai le disait. En plus comme on passait de notre chambre à un vrai studio, ça nous a fait bizarre au début.
Kai : Mais pas toutes le chanson quand même ! Il y en a quelques une pour lesquelles on a fonctionné comme ça, sinon c’était beaucoup de répétitions et de travail de studio.
– Les voix sont pas mal aussi, on dirait même qu’elles sont mieux travaillées. Vous vous êtes beaucoup entraînés ?
Kai : C’est quelque chose que je n’avais jamais fait avant. C’est étrange, parce que j’avais des mélodies dans la tête et c’est comme si j’avais précisément les bons mots pour que ça soit harmonieux et mélodique. Et je ne voulais pas dire à quelqu’un de chanter comme ci ou d’écrire ça. J’étais un peu gêné au début, puis après tu prends l’habitude et ça devient plus facile. Mais ça revient à ce que je te disais toute à l’heure, sur le fait que j’ai l’impression « d’être un meilleur artiste » : je prends des risques en chantant, mais je n’aurais pas pu le faire avant parce que j’étais moins en confiance avec mon travail. Et c’est étonnant aussi de se mettre à faire quelque chose pour la première fois quand tu crois avoir exploré ou fait beaucoup de choses dans la musique.
Dom : Ça aussi j’avais oublié ! On prend des cours de temps en temps. C’était la première fois qu’on écrivait des paroles pour des chansons, ça a été une véritable expérience.
– En parlant de chant, on retrouve King Krule sur deux chansons de l’album, “You Took Your Time” et “Meter, Pale, Ton”. Comment l’avez-vous rencontré? D’où vous est venue l’idée d’une collaboration avec lui ?
Kai : On a écouté tout ce qu’il a fait et vraiment on adore. Pour nous c’est un des artistes les plus intéressants des trois dernières années. C’était un peu une évidence de l’inviter sur cet album. Mais il n’a pas juste chanté sur les deux morceaux. Il nous a aidé et donné des conseils dessus, parce que c’est un compositeur hors norme qui a un vrai talent.
Dom : Il vit à côté de notre studio, on l’invitait à passer venir écouter ce qu’on faisait. Ensuite il repartait avec des ébauches de nos morceaux, il les travaillait chez lui et revenait le lendemain avec des nouvelles idées, un petit arrangement en plus,… Il a vraiment été intégré dans tout le processus créatif des morceaux sur lesquels il apparaît. On ne voulait pas de quelqu’un qui débarque une fois le track terminé et qui vienne juste poser sa voix.
– Vous partagez l’affiche du Midi Festival avec lui. Est-ce que vous préparez un live spécial pour l’occasion ?
Kai : On ne sait pas encore mais on adorerait. On fait plusieurs festivals ensemble cet été du coup ça serait une bonne occasion. Mais faut qu’on travaille dessus un peu, parce qu’on ne les a pas du tout préparé pour les jouer en live avec lui. Même si c’est un peu le bordel ça sera cool de toute façon parce qu’il est vraiment doué !
– Vous avez intégré un batteur à votre live maintenant et vous dites préférer jouer en concert plutôt qu’en club ? Cela n’a pas été trop difficile de s’adapter au début ?
Dom : Pour être honnête, ça s’est un peu présenté comme une nécessité. On s’est retrouvé plusieurs fois à partager l’affiche avec des Djs qui jouaient des trucs beaucoup plus agressifs et plus rapides que nous. Ça donnait parfois des drôles d’ambiance et le public n’était pas non plus très réceptif. Prendre un batteur ça a été une vraie révolution pour nous et ça nous a permis de sortir des clubs et de développer un vrai live pour un format de concert.
– Est-ce qu’on aura quand même l’occasion de vous revoir en club ?
Dom : Oui de temps en temps. Mais il va falloir qu’on retravaille entièrement notre set pour pouvoir intégrer et jouer les nouveaux morceaux. Notre attache au club est très importante pour nous, parce que c’est là où on a commencé. Mais il faut avoir le bon line-up, comme je te le disais toute à l’heure !
– On vous décrit comme la figure centrale du post-dubstep. Est-ce que vous vous considérez toujours comme tel, même avec ce second album qui sort complètement de ce style ?
Dom : Le post-dubstep se réfère à un genre très particulier. Quand on a commencé à enregistrer ce second album, on voulait vraiment sortir justement de cette image et de cette référence. On en avait un peu marre des textures ou des genres de sons qu’on utilisait avant. C’est là d’où nous est venue l’idée de partir sur nos voix, des batteries acoustiques, des sons moins digitalisés.
– D’ailleurs beaucoup d’artistes de votre génération (James Blake, Darkstar, The XX, Burial peut-être,…) ont eux aussi sorti leur second album cette année et qui pour certaines, étaient moins bons que leur premier. Est-ce que vous avez peur de décevoir le public avec “Cold Spring Fault Less Youth” ?
Dom : On a réalisé un album dont on est vraiment fier. On est conscient du fait qu’on va peut-être perdre des fans ou des gens qui ont aimé Maybes, Sketch On Glass et Crooks & Lovers. Mais on va aussi en gagner certainement, c’est comme ça que les choses évoluent dans la musique. Si tu essayes de faire de la musique pour plaire à tout le monde, soit tu fais de la merde soit tu ne vas jamais t’en sortir. Tu citais Darkstar, James Blake, The XX, moi je trouve que leur second album témoigne d’un passage à un niveau supérieur en terme de travail et de production.
– Vous vous situeriez où par rapport à la scène électronique britannique actuelle ?
Kai : Tu n’es pas la première personne à nous poser cette question et c’est difficile à dire je t’avoue. On ne se sent pas particulièrement rattaché à un courant ou à une scène. C’est juste qu’on connaît pas mal de gens qui font de la musique et pour qui ça marche. Des gens avec qui on a grandi et avec qui on a commencé à faire de la musique. Mais au final on fait chacun des trucs très différents, c’est pour ça que je trouve difficile de dire qu’on fait partie d’une « scène ». C’est un métier très différent d’être Dj et de faire ce que nous faisons. Le boulot du Dj est très dépendant du contexte et des tendances musicales actuelles
– Vous avez encore travaillé avec le crew d’Hotflush et Scuba sur cet album ?
Kai : Non, pas sur cet album. On est de très bons amis. On parle souvent de travail et de ce qu’il se passe dans la musique quand on se voit, mais sur cet album on a vraiment été que tous les deux avec Dom. Bien sûr, on écoute avec attention les conseils qu’ils nous donnent.
– De Hotflush à Warp, qu’est-ce que le fait de signer sur un plus gros label vous a apporté ?
Kai : Quand on a sorti notre premier album, Hotflush n’existait pas depuis si longtemsp que ça non plus. Du coup, on a grandi en même temps que le label, on s’est développé au même moment. Mais on a aussi connu en même temps les difficultés sur lesquelles tu peux tomber. C’est pour ça qu’on est très attaché à Hotflush. Avec Warp, c’est une toute autre dimension. Il y a un savoir-faire de plus de vingt ans et les moyens sont beaucoup plus gros. Ils ont une bonne stratégie et nous donnent de très bons conseils, et c’est super pour nous et pour l’album.
– Et le prochain chez Universal ?
Kai : Non, on restera avec Warp, ça nous correspond plus !
Mount Kimbie – Cold Spring Fault Less Youth
Sortie le 28 Mais 2013 (Warp)
En concert le 5 Juillet au Nouveau Casino (Paris) et le 27 Juillet au Midi Festival