Petit flashback sur une œuvre probablement trop ignorée dans le monde de la House et de la Techno. Pivot discret des années 00, Analord annonce dès 2005 les nombreux revivals des années 10. Encore une fois Richard D James surprend par son positionnement, et ses productions poussent à la réflexion.
Sorti entre janvier et juin 2005, Analord se présente sous forme d’un chapelet d’EP, 11 maxis vinyls only, intitulés respectivement et très prosaïquement Analord 01, 02, 03, et ce jusqu’à 11*.
L’artiste renoue alors avec son propre label, Rephlex, qu’il n’avait pas exploité depuis 1997 et Analogue Bubblebath 3.1. James renoue également avec AFX, son alias initial qu’il utilisa pour sortir ses premières productions. Il renoue donc ainsi avec le matériel analogique qui caractérise ses références passées, et c’est bien là qu’est la prouesse.
Composer, en 2005, une série de tracks uniquement à base de matériel analogique ancien (drum machines, compteurs séquentiels, synthétiseurs) et le sortir exclusivement sur vinyle, n’est pas seulement un regard nostalgique vers le passé. Contrairement à ce qui a beaucoup été dit à l’époque (certainement à cause du manque de recul), c’est aussi un véritable appel d’air vers le futur, le flair génial d’un éternel avant-gardiste, la transcription artistique d’une période bientôt charnière.
Analord fait en effet partie de ces prémices aux différents revivals analogiques, auxquels il est difficile d’échapper depuis quelques années, à une époque où la chaleur et la singularité des machines étaient mises à l’écart depuis pas mal de temps, une époque où les softwares, la musique numérique et les contrôleurs midi étaient au cœur de l’effervescence médiatique.
C’est donc avec finesse qu’AFX décide de remettre en avant les tonalités acids et bruts des pionniers de Chicago, tout en conservant l’atmosphère rythmique syncopée qui le caractérise.
Que nous réserve l’avenir de la musique électronique ? Analord est l’une de ces créations qui mène à ce genre de questionnement. Se situant quelque part entre rétro et futurisme, faisant télescoper en permanence complexité et simplicité, chaque EP donne à réfléchir. On se questionne non seulement sur l’avenir partagé entre Hardware et Software, analogique et numérique, comme évoqué précédemment, mais aussi sur la place de l’homme parmi ces technologies. Est-il maitre ou esclave de ces appareils ? Ces productions artistiques sont-elles issues de la sensibilité de l’homme ou de la machine ?
C’est bien en cela que Richard D James impressionne, il réussit à humaniser ses machines et nous donne accès à leurs âmes. De la même façon nous pouvons accéder à la sienne grâce à elles.
La différence à l’avenir se fera peut-être donc là, dans ce reflet mutuel entre l’homme et son instrument de production. L’intérêt est alors d’affirmer son authenticité, de dégager une émotion, de raconter une histoire. A l’image de ce dernier extrait où l’on croit entendre les derniers balbutiements funky d’un robot fatigué. La complicité entre AFX et sa machine est entière, il en résulte quelque-chose de particulièrement profond, qui encore une fois ne nous fait pas seulement remuer la tête, mais nous pousse à penser, à rêver.
C’est peut être ça qu’ils ont appelé IDM (intelligent dance music, terme née vers 1993 pour tenter de définir le genre musical d’AFX, et qui restera par la suite).
La tentative d’illustration continue avec cette sélection partielle :
Analord 04 – AFX – home made polysynth
A ranger dans la catégorie des mélancoliques magnifiques, ce track très humide nous rappelle par son titre que Richard a aussi fabriqué ses propres synthétiseurs.
Analord 09 – Aphex Twin – Backdoor.Netshadow
Analord contient également des pièces beaucoup plus dansantes, proche de l’acid techno. Backdoor.netshadow porte le nom d’un virus informatique, comme chacun des titres des Analords 08, 09 et 11.
Cet hommage à Larry Heard témoigne parfaitement du caractère précurseur d’Analord, revival avant l’heure ce morceau pourrait être l’hymne flottant d’un Chicago post-apocalyptique.
Analord 03 – AFX – Midievil Rave 1
Le MIDI serait le diable, langage numérique célèbre que l’artiste met en opposition aux Analords plutôt tournés vers l’analogique. AFX agit ici comme un véritable marionnettiste polyphonique.
Proche de l’électro originel, Klopjob réunit une grande partie des ingrédients qui font l’esprit Analordien ; le tandem mélodie cosmique et breakbeat, accompagné d’une line acid 303. Le résultat est encore une fois particulièrement intemporel.
Analord 06 – AFX – I’m self employed
Dans l’ovni mélodique I’m self employed, le synthé (SH-101 ?) semble presque essayer de parler, illustration parfaite de la synergie homme/machine si particulière à AFX. La prochaine sortie du génie des Cornouailles étant normalement pour bientôt, on ne peut qu’espérer qu’il continue ainsi à nous conduire vers ces territoires vierges.
*A noter pour les afficionados qu’une compile CD est sortie en 2006 et que l’ensemble est disponible en digital depuis 2009, avec en prime 20 unreleased de l’époque.