Akufen est sûrement l’artiste le plus emblématique de la scène Montréalaise. Connu depuis de nombreuses années pour ses productions House mais également pour ses différents alias tels qu’Horror Inc, il était à Paris dimanche dernier pour un set magistral de 3h. Étroitement lié au festival Mutek et très attaché à sa ville, Montréal, Akufen aurait pu migrer vers Berlin et tourner tous les weekend cependant, il a décidé de se faire discret et de rester attaché à la ville aux cents clochers. Fort d’une vision artistique bien précise, il peut se targuer d’un carrière remarquable qui se démarque des parcours classiques dictés par les standards de cette industrie . Nous avons profité de son passage à la Concrete pour poser quelques questions à cette personnalité de la musique électronique.
– Bonjour, peux-tu te présenter ?
Je suis Akufen plus connu sous le nom de Marc Leclair auprès de mes amis, je suis musicien, je suis également concepteur graphique. J’ai choisi la musique plutôt que les arts graphiques car j’avais plus de facilité à m’exprimer au travers de cette forme d’art.
– Tu as une formation de jazz initialement comment en es-tu arrivé à la musique électronique ?
En fait j’ai pas commencé par le jazz, lorsque j’ai commencé j’écoutais énormément de musique classique étant plus jeune puis beaucoup de pop. C’est plus tard que j’ai commencé à m’intéresser à la musique afro américaine, le jazz, la funk, la soul… Puis tout ça ça m’a amené à la musique électronique vers l’âge de 15 ans alors que j’étais un peu lassé de jouer avec des groupes, je voulais être autonome, pouvoir tout composer. J’étais un peu controlfreak. C’était une occasion rêvée pour tout maîtriser. Je me suis donc procuré des synthétiseurs analogiques avec un séquenceur et j’ai commencé à faire des boucles. A l’époque j’étais surtout inspiré par steve Reich et Philip Glass.
– On t’associe souvent à la notion du micro sampling et du click’ n’ cut , notamment grâce à ton album “My way”, quel est ton rapport au sample aujourd’hui ?
Bon le sample est toujours là, il a toujours été présent dans mon travail car même en tant que graphiste j’ai toujours fait énormément de collages de découpages et de rapiéçages, donc j’ai appliqué ça à ma musique et ça à donné ce que ça a donné. J’ai fait ce truc la à une époque où c’était beaucoup plus éclaté il y avait beaucoup de samples. Maintenant je limite énormément les samples j’en utilise beaucoup moins pour donner un feeling beaucoup plus organique et naturel bien que ce soit de la musique électronique. En même temps je ne vais quand même pas me détacher de la musique électronique, j’essaie d’avoir un côté plus live, plus band, surtout avec Akufen.
– Prècedemment tu citais Reich & Glass, est-ce que Todd Edwards ne t’a pas un peu influencé dans ton travail de Click n’ Cut?
En fait c’est bizarre car beaucoup de gens ont répandu la rumeur que je m’étais inspiré de Todd Edwards mais en fait pas du tout. Je ne connaissais absolument cet artiste à l’époque, j’ai fait ce travail de découpage depuis le milieu des années 80. De toute façon je ne vois même pas la comparaison dans le sens où, certes, il y a un travail de cut mais l’approche n’est pas la même. Todd Edwards prend ses sources dans une même pièce alors que je prend mes sources de partout, la télé le cinéma la radio…
– Tu as une formation de graphiste, peux-tu nous parler de ton rapport à l’image dans ta musique ?
Mon rapport est trop fort, je dirais que ma musique est même plus visuelle qu’elle n’est auditive. J’ai toujours appliqué mon travail graphique à ma musique. Lorsque je compose je pars souvent d’images fortes que j’ai en tête.
– Tu t’intéresses un peu au cinéma ?
Oui énormément, je suis un grand cinéphile. J’aime beaucoup le cinéma d’auteur et il y a énormément de cinéastes qui m’inspirent dans ma démarche artistique, autant chez les surréalistes, que les impressionnistes que les expressionnistes allemands.
– On a entendu dire que tu étais un grand fan de Jacques Tati que représente t-il pour toi ?
Je dirais que Jacques Tati est probablement une ou sinon ma source d’inspiration principale dans le travail que je fais. Tous le côté humoristique que l’on retrouve dans la musique d’Akufen vient de Jacques Tati. Tout ce côté de la recherche sonore qu’il faisait dans un film comme “Playtime” qui est un chef d’œuvre qui m’a beaucoup inspiré.
– Tu disais que maintenant tu utilisais beaucoup moins de samples, pourquoi penses-tu que tu as évolué de cette manière ?
Parce que j’ai l’impression que lorsque j’ai commencé à faire de la musique électronique à l’aide d’échantillonnage j’ai voulu en faire un espèce d’exercice. J’ai voulu aller au fond des choses et voir jusqu’à quel point je pouvais découper et fragmenter la musique pour l’amener à cet espèce de collage et de mosaïques et puis maintenant je crois bien que les temps ont changé. Ce son-là a été repris maintes fois, il a été vu et revu. Continuer à faire ça aujourd’hui ça serait m’ autoplagier, ou devenir une caricature de moi-même ce dont je n’ai pas du tout envie.
– Par rapport au cinéma tu avais un projet qui s’appelait “5mm” peux-tu nous parler un peu de ce projet ?
Initialement “5 mm” provient d’un album que j’avais sorti sur le label Mutek qui était de la musique pour 3 femmes enceintes. C’était un hommage à 3 femmes, 3 amies qui étaient tombées enceintes à peu près à la même période (à un mois près). C’est parti d’une pièce que j’ai ressorti en 12’’ sur Oral un label Montréalais. La réception de la pièce était tellement intéressante que j’ai décidé de développer un projet entier avec ce concept là. C’est un projet qui s’est développé sur 5 ans où j’ai essayé sans tomber dans les clichés de capturer l’essence de la gestation humaine. Moi-même étant père et ayant traversé toutes ces étapes là, je me suis inspiré de mon expérience pour faire ce projet . “5mm” c’était la cristallisation du projet 3 femmes enceintes avec de la vidéo pour un spectacle qui était présenté devant un public assis.
– Penses-tu que le passage à la vie de famille a eu un impact sur ta musique ?
Oui c’est évident, ça a même nuit un moment donné. J’étais tout le temps absent, je n’étais pas à la maison. Parfois je passais 2 ou 3 mois sans rentrer chez moi, surtout l’été. C’était très difficile, ma fille avait grandi. Finalement ça s’est rétabli très rapidement car je ne voulais pas non plus être un de ces artistes qui sacrifie sa vie de famille pour sa carrière donc à un moment j’ai mis la clé sous la porte et je me suis fait plus discret. J’ai continué à tourner malgré tout mais j’étais beaucoup plus présent auprès de ma famille. Maintenant c’est de l’histoire ancienne j’ai une super relation avec ma fille, elle a 14 ans. Je crois qu’elle a bien vu ce qui c’était passé, aujourd’hui elle respecte et elle comprend et elle aime ce que je fais.
– En termes de production penses –tu que ça t’a aidé ?
Oui énormément, ça m’a grandi. Lorsque tu trouves tes attaches autour d’un enfant ça change toute ta perspective. Évidemment il y a une nécessité de travailler pour pouvoir gagner des sous. C’est sûr que parfois il y a certains compromis à faire pour pouvoir nourrir sa famille mais j’estime être resté intègre dans mon travail. Ça a ajouté beaucoup d’introspection et de gaité dans ma musique.
– Que penses-tu de l’idée d’ordre dans le chaos dans la musique et dans l’art en général ?
Pour moi l’idée de chaos a toujours été présente mais il était toujours organisé. C’est un peu comme ma maison, c’est un peu bordélique mais jamais sale, les choses sont dispersées mais il y a un équilibre. Il y a une sorte de mathématique instinctive qui est au cœur de mon travail mais il y a un chaos volontaire. C’est comme une certaine place laissée à l’accident. Je travaille beaucoup aléatoirement, lorsque je fais de la récup’ de son j’y vais jamais de manière consciente, je fais ça de manière intuitive. Généralement je prend énormément de musique puis après j’extrais ce qui m’intéresse et je vais faire comme un cadavre exquis. L’idée c’est d’assembler tout ça et j’ignore totalement ce que je vais avoir comme résultat. Des fois je peux travailler sur une pièce pendant 6 mois et déboucher sur quelque chose de très différent dont la manière que j’avais commencé.
– Comment vois-tu ta place d’artiste dans tout ce procédé ?
Ben en fait, je vois ça plus comme une quête personnelle. Si la musique que j’ai faite a eu un impact et a inspiré des gens c’est plus un hasard. Au départ la musique c’était quelque chose de nécessaire dans ma vie, quelque chose qui me permettait de fonctionner normalement. C’était comme une sorte de thérapie Je pense que c’est avant tout une manière pour l’artiste de se poser des questions et d’aller au fond de soi.
– Comment as-tu vu ta musique évoluer au fil du temps ?
Je crois qu’il y a eu une quête et une certaine atteinte de sérénité que j’ai acquis au fil des années. Lorsque j’ai commencé ma carrière j’avais 31 ans, j’en ai 46 aujourd’hui donc c’est clair qu’il s’est passé beaucoup de choses. Tu deviens plus confiant, tu es plus épuré dans ta musique car tu sais ce que tu veux et vers où tu vas. Tu désires surtout offrir.
Tu es passé des groupes, au jazz, au micro sampling, à ton travail actuel ou tu réutilises des instruments, comment interprètes-tu cette « boucle » ?
C’est un peu une boucle en effet, je n’ai pas encore réussi à retravailler avec des musiciens. Apprendre à faire des compromis fait partie de mes buts mais c’est vraiment pas facile pour moi. J’ai déjà recommencé à travailler avec des instruments j’étais un peu rouillé lorsque j’ai repris mais j’ai retrouvé le plaisir de m’asseoir avec ma gratte et de me refaire de la corne sur les doigts. C’est vraiment un réapprentissage complet. C’est juste le plaisir de se détacher de l’ordinateur et de retourner à quelque chose de plus organique. La musique électronique c’est quelque chose de très organisé avec l’instrument tu peux retrouver une certaine spontanéité.
Sieg Über Die Sonne – i’m not a sound (Akufen remix)
– J’ai commencé à recontacter des amis pour faire des jams sans aucune prétention, puis on verra si ça aboutit sur quelque chose de sérieux qui sait ?
Tu parlais de travailler à plusieurs, tu as également participé à un projet collaboratif d’envergure dans le cadre de Narod Nikki. A l’époque comment avais-tu géré l’idée de compromis ?
C’était avec des musiciens qui faisaient des trucs relativement différents des miens donc il fallait trouver une certaine humilité dans tout ça. Le but c’était surtout de se réduire, d’aller à l’essentiel de devenir un élément au sein d’un tout, à la différence de lorsque tu fais toute ta musique toi-même où tu peux t’éclater sur un paquet de paramètres. Quand tu travailles avec d’autres musiciens il y a du respect, tu te contrôles, tu peux pas en faire qu’à tête , il faut que tu sois à l’écoute.
– A partir d’un certain moment tu t’es fait beaucoup plus discret dans le milieu est-ce que cela t’as permis de prendre du recul?
Ah oui énormément, j’ai totalement arrêté d’écouter ce qui se faisait. Parfois on m’envoyait quelques trucs je regardais de loin. J’ai un peu perdu le fil de ce qui se passait, d’une part car l’on a perdu toutes nos boutiques de disques à Montréal et d’autre par car j’ai recommencé à écouter des musiques que j’appréciais dans ma jeunesse. Je me suis remis à acheter de vieux disques, de la pop de la musique afro américaine, du jazz, du disco un peu de tout. Ça m’a permis de revenir à quelque chose qui me correspondait plus. Lorsque tu travailles pendant longtemps au sein d’une scène et à force d’écouter les autres c’est immanquable tu deviens très inspiré des gens qui t’entourent et tu reproduis ce qui se fait. Ce détachement volontaire, c’était aussi pour repartir à la case départ et faire un truc qui était encore naïf et enfantin.
– Quel regard portes-tu aujourd’hui sur cette industrie ?
Je veux surtout pas paraitre négatif mais je suis un peu lassé. Après je ne suis pas au courant de tout ce qui se passe donc il doit y avoir des choses formidables également, malheureusement elles sont noyées dans un océan de trucs bien moins intéressants. Ce que je trouve malheureux c’est que c’est vraiment devenu une industrie qui met beaucoup de pression sur les épaules des artistes, et que beaucoup se sentent coincés dans ce système là. Les ventes de disques ne permettent plus aux artistes d’avoir un revenu stable, ils sont forcés de vivre de leurs tournées et de produire moins et en fonction de certaines règles du dance-floor qui sont trop restrictives et castratrices dans la création musicale.
– Comment tu gères cette pression ?
Ben j’en fais fi, j’essaie de ne pas tomber dans le panneau. C’est aussi pour ça que je reste assez discret, je recommence à sortir des trucs mais jamais je ne reviendrai aussi fort que je l’étais. Je ne crois pas que la vie de club et de tournée est une chose qui m’intèresse encore longtemps à mon âge. J’ai envie d’être à la maison avec mon enfant, à travailler sur des projets plus éclatés et plus pointus qui ne sont pas nécessairement des choses à écouter sur des pistes de danse.
– Tu as créé Musique Risquée avec des amis à toi à Montréal quelle était la ligne directrice de ce label ?
Au départ c’était un collectif de 4 membres qui sont Vincent Lemieux, Stephan Beaupré, Deadbeat et moi même. On s’était rendu compte que la scène s’homogénéisait et que la musique se ressemblait beaucoup, on a donc décidé Vincent et moi de créer cette structure pour la pure et simple raison de sortir la musique qu’on aimait, et offrir quelque chose de différent qui sorte de l’ordinaire et essayer d’offrir de nouvelles alternatives aux dance-floor. Musique Risqué est un label assez éclectique, ça ne se prend pas au sérieux il y a beaucoup d’humour là dedans. C’est également un question d’alléger la chose, je trouve que la musique électronique est une scène qui se prend trop au sérieux et qui est bien trop prétentieuse.
– Es-tu toujours très impliqué dans la gestion du label ?
Ah non en fait j’ai jamais vraiment été très impliqué dans le label, à part avoir trouvé le nom j’ai jamais été très paperasse. Travailler avec les chiffres c’est pas mon truc. Vincent est surement la personne la plus impliqué dans la gestion du label il s’occupe également de faire les soirées Risquée au cours desquelles on invite des amis qui sont de passage à Montréal.
– Que représente pour toi Mutek à Montréal ?
C’est une grande famille, j’ai connu ( le fondateur du festival) Alain Mongeaux il y a 25 ans, c’est un grand ami à moi. On était toute une communauté d’artistes et de musiciens qui se sont greffés à ce projet qui a mis du temps à s’installer et à obtenir ses lettres de noblesse. Maintenant le festival est réputé internationalement mais ça a pris des années de vaches maigres. Aujourd’hui encore c’est toujours pas évident. Chaque année, Mutek ne sait pas si ça sera sa dernière année ou pas.
Ce qui fait la magie de ce festival, c’est cet aspect éphémère des choses de jamais savoir si la prochaine année ça sera là. On fait donc toujours comme si c’était la dernière. Contrairement à bien des festivals, Mutek une communauté, la plupart des festivals sont des vitrines sur le monde tandis que Mutek est surtout une vitrine sur Montréal. Cette manifestation à été créée pour la communauté Montréalaise et cela nous a permis de faire ces ponts vers l’Europe et les autres continents.
– Aujourd’hui comment se porte la scène Montréalaise ?
Elle se porte très bien mais elle est éparpillée, ce n’est plus vraiment une scène locale vu que tout le monde est un peu partout à travers le monde. Il y en a à Barcelone, d’autres à Berlin etc etc. Mais le lien est toujours très fort, l’énergie et le noyau sont encore très forts. On est tous en contact et à chaque fois que l’on se retrouve on est vraiment content, c’est une grande famille.
– Tu as créer plusieurs alias qui ont tous rencontré un bel accueille du public dans quel but as -tu crée ces personnages ?
Les alias pour moi comme pour d’autres artistes, ça permet de faire d’autres projets différents de ce pour lesquels on est reconnu. Akufen avait une signature tellement personnelle, c’était la fête, c’était de la house tandis qu’avec Horror Inc c’était une musique beaucoup plus cinématique qui se veut plus dark et plus introspective je pouvait pas faire ça de la même manière. En fait c’est pour faire des trucs variés
– Et pour Marc Leclair ?
Pour mon vrai nom c’est parce que c’était un projet vraiment très personnel et j’en ferais d’autre.
– Quelque chose à ajouter ?
Je suis en préparation de deux albums qui sont terminés, un d’ Horror Inc qui devrait sortir sur Perlon puis un d’ Akufen qui sortira sur Musique Risquée. Les deux sortiront l’an prochain pour sur mais je suis tout simplement en train de travailler avec des chanteurs et des chanteuses sur les deux projets, c’est la dernière chose à ajouter. Il y a quelques autres projets également.
– Comment comptes-tu les défendre sur scène ?
Je ne les ai déjà défendus, le Mutek d’il y a trois an j’avais déjà joué mon album donc j’avoue que lorsque je vais le refaire je refairais pas la même chose du tout il y a aurait plein de nouveaux élément et pareil pour Horror Inc. Ça fait quand même 3 ans et demi que je prépare ces lives. Il aura peut –être des éléments visuels à ajouter également.
– Un dernier mot ?
Je souhaite que les musiciens s’écoutent et fassent ce qu’ils veulent faire et non qu’ils reproduisent ce qu’ils entendent, autant que faire ce peut.