Jovial, disponible, enjoué et bavard, ce sont les maîtres mots qui caractérisent ce personnage atypique qu’est Mustapha Terki, programmateur et créateur du festival à 360°, le Montréal Électronique Groove. Son impressionnant CV et son long parcours nous ont donné envie de rencontrer cet OVNI de la musique électronique à Montréal, juste avant la soirée de clôture de son festival, le MEG Boat (samedi soir). Du printemps de Bourges à Osheaga, il nous lâche tout.
D’où viens-tu et comment es-tu arrivé jusqu’au Québec ?
J’ai travaillé au Printemps de Bourges, sur les découvertes, de 1989 à 2000, et en 1999 je savais que j’allais venir, j’ai monté un festival, le MEG, qui était associé à la musique électronique à Montréal. L’idée était assez simple : créer un espace dédié à la culture électronique car à l’époque il n’y en avait pas en ville, à partir de là on a créé le MEG avec une première soirée à Montréal et une autre à Paris. On a donc organisé ce premier événement. Il y a toujours eu un côté France- Québec très important dans la programmation car en 2001 on avait fait venir M83, en 2005 Justice, Surkin et Brodinski puis plein d’autres. On a toujours eu ce côté « découvreur » à la fois de gens connus en France mais pas spécialement ici, plus d’artistes montréalais. Au Québec j’y allais depuis 1990 assez régulièrement et en 1999 j’ai décidé de faire le grand saut en développant un événement sur Paris et Montréal, sachant qu’en travaillant aux Printemps de Bourges, j’ai créé les Nuits Européennes de Strasbourg en 1994 où déjà on avait fait venir des gens comme DJ Food ou Rhinocérose.
Donc tu connaissais bien le « marché » québécois avant de te lancer dans l’aventure ?
Oui, je le connaissais, mais en 1999, il n’y avait que très peu de musiques électroniques au Québec. Il y avait bien sûr le mouvement des free parties mais pas de festival au sens où on l’entend aujourd’hui, qui donne un espace d’expression et la possibilité pour des gens de se produire, aussi bien pour les locaux que pour les internationaux. J’ai toujours pensé le MEG comme un festival qui s’exporte, donc dès 2000, on a fait le MEG Tour à Barcelone et Londres avec des artistes montréalais et français. Ca c’est la partie que le public ne connaît pas, on a toujours organisé des concerts à droite, à gauche. On a profité de l’explosion d’internet pour développer ce côté globe-trotter.
Qu’est-ce qui t’a poussé à quitter le Printemps de Bourges, l’un des plus gros festivals français, pour créer le tien ?
C’est une histoire personnelle, j’y avais passé près de 15 ans, j’avais fait le tour de la question, j’avais bien réfléchi à mon projet et j’ai eu l’opportunité de le faire, donc je l’ai fait, j’ai pris des risques. A côté de ça, en 1998, j’avais créé un festival appelé La coupe du monde des banlieues. C’était un festival de musique doublé d’un tournoi de foot, durant la coupe du monde, co-organisé par le réseau du Printemps (de Bourges ndla) et la ville de St Denis. J’avais fait venir 800 jeunes, des artistes du monde entier, 31 pays et des équipes de foot, un truc de malade mental ! Après ça, j’avais envie d’avoir de nouveaux défis, pourquoi ne pas imaginer un événement ? Et puis il y a eu le MEG où l’on a fait venir au début du festival des gens comme Rhonocérose ou Gilb’R. On a pu construire le MEG. Les 4-5 premières années, le festival représentait la scène groove de l’époque puis très vite les groupes pop-rock ont intégré l’électro et c’est à partir de là que l’on s’est ouvert à ces musiques plus pop. Une fois que les pionniers de la musique électro avaient fait le tour des instruments, ils ont tous eu envie (du moins en partie) d’avoir des musiciens. L’idée aussi c’était qu’on fasse appel à la création de manière globale en faisant venir des photographes par exemple. On veut que ça bouge, on ne se fige pas à un seul genre musical non plus. Même si la musique électro représente 60% du MEG.
En revanche, il n’y a pas beaucoup de hip-hop…
Effectivement, cette année non, mais l’an dernier on avait fait un truc hip-hop mais là j’ai besoin de repenser la chose, trouver les bons acteurs, les bons partenaires. Ce n’est que partie remise…
Du coup tu m’as parlé de soirée MEG à Paris, Barcelone etc, comment est-ce que cela se passe ? Est-ce que ce sont grâce à des gens que tu as rencontré au travers festival ou est-ce qu’il s’agissait de ton réseau de départ ?
On se connaît un peu tous dans le métier, par exemple en 2000 j’avais contacté le Sonar pour que l’on fasse une soirée MEG. À Mexico, j’avais des potes qui voulaient développer la musique électro donc on l’a fait aussi, Londres idem. Les liens se créent. Et ce qui plaisait aussi c’était de découvrir la scène montréalaise. Donc on a tissé des liens. L’aboutissement de toutes ces connexions a été le MMOI, une coopération MEG / Osheaga. Depuis 3 ans déjà les pros qui viennent au MEG ont aussi accès à Osheaga, on a créé des rencontres, des espaces, il y a un travail de réseautage qui se construit.
Les Piknic aussi ont fait une édition barcelonaise, est-ce lié ?
Pas vraiment, mais nous, on a aussi un partenariat avec les Piknic. Cette année on a fait une date avec Lunice, Jacques Greene, MachineDrum et autres. Ils sont vraiment solides, ils ont fait SquarePusher par exemple. Ca fait partie des partenariats en interne que l’on aime entretenir.
Toi qui connais le système français et le système québécois, penses-tu qu’il soit plus facile de monter un projet culturel de cette envergure en France ou au Québec ?
Question piège ! En France, ce n’est pas une histoire d’être plus facile. Si tu prends par exemple la musique électronique en France, il y a des pionniers de ce genre. On a une scène énorme et des festivals liés comme Astropolis se sont créés très rapidement. Plus facile je ne sais pas vraiment. C’est beaucoup de persuasion, beaucoup de travail, ce n’est pas facile. Après en 99, ce qui ressortait en gros, c’était un étonnement de la part des artistes français quand ils découvraient les supers lieux québécois et de la part des québécois qui étaient impressionnés par le nombre d’artistes et de labels actifs en France.
La France est souvent réputée comme étant difficile d’accès au niveau de la musique, ici comment as-tu trouvé l’accueil ?
Oui, c’est sûr, mais attention, il existe plein de choses. Si l’on a pu créer cet échange c’est aussi parce que l’on arrivait avec un concept niche sur le Québec. La musique électronique en 99 ça n’intéressait pas grand monde ici. Si j’étais venu pour recréer un événement pop rock, on m’aurait dit d’aller voir ailleurs !
Tu trouves que tu as été bien accueilli par les professionnels locaux ?
Disons qu’à l’époque je suis arrivé avec un concept un peu science-fiction, la scène montréalaise était là et elle était forte, il y avait des free parties de partout dans les années 90. Mais elle n’était pas structurée comme nous on pouvait l’être à cette époque. En France, la French Touch explosait. Les gens étaient donc ouverts, surtout parce que l’on proposait de dynamiser la chose.
Tu me parles justement de projets futuristes, vous avez une soirée qui s’appelle le MEG Boat…
Oui c’est une soirée sur un bateau qui largue les amarres de 00h à 3h30, on a déjà fait ça il y a 4 ans. En plus de ça, il y a des DJs français et d’ailleurs, connus ou inconnus. Ca permet vraiment au public de se balader. Surtout que le bateau est gros (800 personnes).
Du coup, c’est un gros poids en termes d’organisation j’imagine…
Ho oui ! Il y a le MEG et le MEG Boat, ça demande une organisation et une énergie béton. Mais bon, après 4 ans on commence à bien maîtriser le sujet.
Tu peux nous raconter un truc amusant ou magique qui s’est passé sur le bateau ?
Un truc marrant en particulier je ne vois pas… Par contre il y a un truc exceptionnel qui se passe et qui est vraiment génial en termes de communion avec le public. Il y a une règle selon laquelle tu ne peux pas mettre de musique sur le vieux port après 23h. Donc sur le bateau quand il part, du port jusqu’au Pont Jacques Cartier, il n’y a pas de musique. Dès qu’on arrive en dessous du pont, tout le monde commence à crier et dès qu’on est sous le pont, les DJs envoient le son et ça ne s’arrête pas pendant 3h, c’est vraiment dingue ! C’est superbe. Tu vois Montréal comme tu ne le verras jamais, c’est énorme !
Selon toi, qu’est-ce qui définit un bon festival ?
Holala… Un bon festival ? Ce qui est important pour moi c’est que le public et les artistes s’y retrouvent, vraiment. Ce qu’il y a de bien, c’est que depuis 3 ans on occupe les clubs et les bars, c’est une façon de découvrir Montréal. Nous ne sommes pas un festival qui bloque les rues, tu peux avoir des grosses soirées comme des concerts plus intimistes. C’est un mélange de tout.
Lorsque tu fais ta programmation, sur quoi te bases-tu ? Quels sont tes impératifs ?
Comme tous les programmateurs, j’essaie de programmer ce que j’aime ! Ce qui est intéressant c’est de partir d’une idée, d’un concept puis petit à petit tu construis ton programme. Il y a aussi le côté découverte qui est important, les Birdy Nam Nam sont venus 2 fois au MEG et cette année ils sont programmés à Osheaga. C’est super de voir l’évolution des groupes. Et même quand il y en a qui ne prennent pas leur envol, on reste fidèle car on sait qu’ils sont bons !
Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui souhaite monter son festival ?
Du courage ! De la DÉTERMINATIOOON ! (rires). Et encore du courage ! Avoir une bonne idée aussi. C’est important d’amener quelque chose de nouveau.
Tu vas me dire si je me trompe, mais cette année j’ai l’impression que ce sont plus des gros DJs européens qui tirent la scène montréalaise ?
Oui cette année c’est comme ça mais les autres années on a eu des artistes québécois qui tirent des DJs français moins connus. Il n’y a pas de recette ! Ça dépend des disponibilités et des années. Mais c’est vrai que l’on se sert des têtes d’affiche pour faire découvrir des artistes moins connus. Pour que ça fonctionne, il faut aussi qu’il y ait des têtes d’affiche dans ce qui te correspond. Il faut que l’on s’y retrouve financièrement.
Que fais-tu pour maintenir le festival en vie à part les soirées ?
Par exemple, on fait des showcases une fois par mois au Divan Orange. Là on réfléchit à des showcases plus électro. On va sûrement faire plus de clubs MEG. Il y a le MEG tour à l’étranger aussi.
Donc si j’ai bien compris, vous êtes en constante évolution ?
Exactement, le festival n’est pas juste le point d’orgue, ça en est un, mais en même temps on continue dans l’année, on va dans des salons, on va découvrir d’autres choses.
La formule du MEG c’est donc de trouver quelque chose de nouveau chaque année pour améliorer le festival ?
C’est ça ! Mais je dirai que la musique électronique c’est la nouveauté et l’évolution constante, ne serait-ce qu’au niveau des logiciels qui sortent tous les jours. Je ne dis pas qu’il faut être à la mode et forcément la suivre. Il faut dénicher des gens connus, inconnus et travailler sur l’année. Par exemple, une activité que l’on ne connaît pas beaucoup mais si tu vas sur le site MEG tu trouves des infos, on travaille avec une association qui insère des jeunes, qui récupère du matériel d’ordinateur et qui les recycle. Ces jeunes-là sont embauchés, ils ont un boulot et on a choisi de travailler avec eux au niveau de la protection de l’environnement. Ce n’est pas juste à la mode, car les 30 jeunes ont un boulot. On leur fait des tarifs préférentiels pour qu’ils viennent au MEG. Même chose avec des imprimeurs. On bosse avec un imprimeur qui réinsère des jeunes. On remet aussi des jouets à des associations qui les offrent à des enfants. C’est important de participer à la vie locale et à l’insertion sociale pour un festival. C’est un truc auquel on tient et ça n’a rien à voir avec la mode. L’an dernier on a remis 200 jouets à une association et on était vraiment fiers. On a fait une soirée avec des DJs, les gamins venaient voir comment on mixe, c’était vraiment super. C’est un projet global. Bien sûr, on s’éclate, on fait des soirées etc. Mais on essaye d’apporter quelque chose à la communauté.
Ré-écoutez la PLAYLIST014 du festival ici
Soirée MEG Boat / Samedi 4 août 2012
45/55$
Quai Alexandra, Montréal (Vieux port)
W/ Breakbot, Jesse Rose, Christine & Vilify