Si l’on n’a pas souvent la chance de voir Sonja Moonear dans la presse musicale spécialisée, sachez que vous serez toujours chanceux de la voir aux commandes du dancefloor. Originaire de Suisse et active depuis son adolescence au sein de la scène locale, Sonja peut-être fière de suivre un parcours unique en son genre. Productrice sur des labels de haut vol tels que Karat, Perlon, et même sur le sien Ruta 5, dj renommée pour ses sets éclectiques et musclés, cette artiste est ce que l’on appelle une passionnée. Ayant déjà assisté à plusieurs de ses prestations en France ainsi qu’à l’étranger, il semblait indispensable de lui poser quelques questions. Nous avons fait d’une pierre deux coups, en lui demandant un Phonocast. C’est avec brio qu’elle se prête aux deux exercices. Ci-dessous un mix d’une heure avec une sélection deep et mentale. Un peu plus bas une interview complète pour en savoir plus sur cette virtuose du dj booth.
PHNCST049 – Sonja Moonear (Ruta5, Perlon) by Phonographe Corp (FR)
– Peux-tu te présenter en quelques mots?
En 4 mots: Profiteuse de la vie.
– Comment as-tu fait ton éducation musicale ?
J’ai grandi dans une famille où la musique tenait une place importante. Tout le monde joue d’un instrument, et si personne n’était en train de jouer, c’était le tourne-disque qui prenait la parole, ou encore la radio. Mon éducation musicale vient tout d’abord de là: la maison.
Au niveau de l’apprentissage, j’ai suivi des études de solfège pendant 10 ans ainsi que de piano classique pendant 15 ans. Je n’ai jamais été une grande pianiste et ne supportais pas les auditions et autres concours. Par contre j’adorais jouer pour moi, passer du temps sur mon piano.
Pour le reste, c’est en autodidacte et sur le terrain que s’est fait mon parcours.
– A quel moment as-tu décidé de faire de la musique électronique ?
C’est venu tout naturellement, je ne me suis pas réveillée un matin en me disant: “tiens, c’est ça que je veux faire!” A force de sortir en soirées, de danser, d’écouter, d’observer, la musique électronique est devenue une obsession, puis une passion. De spectateur à activiste, le pas est vite fait. La musique électronique dansante est fédératrice, voire communautaire. C’est ça qui la rend si attirante.
– Comment tes parents ont ils appréhendé le fait que tu travailles dans le milieu des musiques électroniques ?
Ils ont toujours reconnu et apprécié le fait que je me donne à fond dans cette passion. A aucun moment ils n’ont remis en doute mon parcours. J’empilais des caisses de matériel, sono et lightshow, dans le garage familial, je remplissais ma chambre de vinyls et tapissais les murs de flyers. Et quand je rentrais le dimanche matin à 9h après avoir organisé une fête dans un squatt ou une gravière, on prenait le petit-déjeuner ensemble avant que j’aille me coucher. C’était en 94 et j’avais 15 ans.
Par la suite, lorsque j’ai voulu suivre une formation d’ingénieur du son à la fraichement établie SAE de Genève, ils m’ont simplement conseillé de me mettre en poche un diplôme plus “standard”… Chose faite, tout en continuant parallèlement mon chemin électronique.
– Tu as participé à l’émergence du mouvement électronique en Suisse, de quoi est-il parti?
Pas complètement en fait, le mouvement électronique était déjà bien développé en Suisse lorsque j’ai commencé à le fréquenter. On rapproche très souvent émergence des musiques électroniques dansantes en Europe avec Berlin et la chute du mur en 89, mais un peu partout en Europe de petits laboratoires électroniques étaient en pleine effervescence.
– Comment s’est développée cette musique en Suisse?
Comme partout je pense, de manière empirique et exponentielle. Cette musique est arrivée avec l’avènement des instruments électroniques. En Suisse, certains musiciens ont très tôt assimilé ces instruments à leur groupe, comme Yello ou Grauzone. L’expérimentation mène à la transmission et au partage. Tous styles électroniques confondus, des bassins créatifs se sont développés un peu partout dans le pays.
La Suisse est scindée en plusieurs régions délimitées par leur langue, et chaque partie a eu son propre développement. En règle générale nous avons eu des moments assez douloureux avec la vague trance de la deuxième moitié des années 90 et son fléau de mega raves imbuvables. C’est un courant qui a malheureusement eu beaucoup de succès et a été très suivi en Suisse.
Du côté de la Suisse Romande (Genève, Lausanne, Fribourg), c’est la scène alternative qui a pris le dessus au début des années 2000, avec des évènements de taille humaine et de qualité dans des entrepôts, squatts, forêts et autres gravières. Tout ceci était encore nouveau pour les autorités locales et il nous était relativement facile de passer au travers des mailles du filet, au contraire de la forte répression subie à la même époque en France.
La Suisse Alémanique (Zurich, Bâle, Berne), elle, s’est assez vite dirigée vers l’option club, de part sa politique du divertissement bien moins restrictive et répressive.
– Comment évolue-t-elle aujourd’hui ?
De manière assez individualiste, que ce soit au niveau de la production musicale ou d’événements. Ce qui nous amène une certaine richesse, un certain choix dans une offre toujours étoffée. La Suisse possède finalement une certaine histoire électronique non-négligeable, de ce fait la qualité de la production musicale locale et des évènements est relativement bonne.
Dans certaines régions du pays, la scène locale est très appréciée et soutenue du public. Cela nous amène une couleur musicale propre, originale et personnelle, même si la tendance à la globalisation se fait plus sentir aujourd’hui que par le passé.
– Tu as été résidente du Weetamix, quel regard portes-tu sur ce lieu maintenant ?
Weetamix reste le seul club digne de ce nom dans notre petite cité de Calvin. Malgré le fait qu’il ait récemment changé de lieu géographique et que sa programmation soit certainement moins risquée aujourd’hui – et oui c’est toujours mieux avant – j’apprécie toujours beaucoup aller m’y perdre lorsque mon emploi du temps me le permet. Quelle que soit l’évolution que lui ait donné son boss, Dimitri, Weetamix est aujourd’hui une institution qui a été établie avec beaucoup d’amour, de passion et de nuits blanches et qui continue a faire vibrer les nuits genevoises depuis plus de 15 ans, et ça ce n’est pas rien.
-Tu as fondé Ruta 5 avec Dandy Jack, comment s’est faite la rencontre ?
J’ai plutôt ressuscité Ruta5. Le label avait été fondé en 97 par les enfants Schopf – Chica Paula et Dandy Jack. Au moment même de la toute première sortie du label – la fameuse compilation “Austral” qui contient les tous premiers titres d’artistes tels que Pier Bucci, Luciano ou encore Ricardo – le distributeur fait faillite et 80% de la production reste scellée à tout jamais dans leurs entrepôts. Le label était mort avant même d’être né.
J’ai rencontré Dandy Jack lors de mon premier set au Panoramabar en novembre 2002. C’était une des dernières Perlon nights avant la démollition du club. Ruta5 a d’abord été une plateforme pour les évènements que j’organisais un peu partout en Suisse, puis un collectif d’artistes composés de Junction SM, Dandy Jack, Chica Paula et moi-même. La remise en route du label est venue assez naturellement par la suite.
Qu’est ce qui vous a donné envie de travailler ensemble ?
Tout est arrivé par hasard. Junction SM a d’abord été une performance live avant d’être un duo de production. Je devais faire le set d’intro de Robert Hood un soir à Weetamix. C’était un gros évènement pour nous à cette époque, tout le monde l’attendait et on savait d’avance que la soirée allait être blindée. Sauf que voilà, mister Hood a eu la bonne idée de manquer son vol et Dimitri, le promoteur, n’apprend la nouvelle que très tardivement. Il décide tout de même d’ouvrir le club et de le remplacer par Martin – Dandy Jack – qui avait tout juste déménagé chez moi à Genève.
Au moment de commencer son set, vers 2h du matin, une grosse coupure d’électricité paralyse toute la ville. Imagine.. La salle comble est plongée dans le noir et le silence pendant plus de 2 heures, et le public est en délire. Les gens commencent à taper du pied, des mains, contre les murs, en rythme. L’ambiance est massive, et les gens restent. Lorsque l’électricité revient, nous avons tous les deux sauté sur la scène – Martin sur sa mpc et moi sur les platines – et commencé à jouer spontanément ensemble. On s’est tellement marré qu’on a décidé de développer le concept.
Comment en êtes vous arrivé à vous produire sous le nom de Junction SM ?
Pour le nom, s’est simplement nos initiales, Martin Schopf et Sonja Moonear, “Junction” me paraît assez évident.
Qui faisait quoi dans le duo?
Techniquement c’est assez simple, c’est une jam entre un live act et un dj set. Sa sortie master est routée sur une des entrées de ma table de mixage, tout comme les platines et autres effets, et je le mixe avec le reste.
En production c’est le contraire. Nous n’avons jamais été capable de partager le même studio au même moment. Question de caractère certainement.. La plupart du temps je composais les morceaux dans mon petit studio du rez et lorsque je les considérais comme terminés, je passais tout en pistes audio et les donnais à Martin.
J’ai toujours eu tendance à m’emballer et j’empilais des couches innombrables de sons sans respirations, sans parler du fait que mes qualités de mixage final étaient plus que médiocres. Martin, dans son gros studio du premier, s’occupait de réduire, d’affiner et de définir toutes ces sonorités. Bref, d’y mettre sa patte.
Pourquoi n’est-il plus d’actualité?
Nous avons tous les deux le même défaut, à savoir que nous sommes très pointilleux sur les détails, du coup il nous fallait des semaines, voire des mois pour terminer un morceau. A nos emplois du temps chargés s’est ajoutée la naissance de notre fille et j’ai naturellement mis mon studio en mode pause. Vu que j’étais l’originatrice de nos morceaux, le projet est resté en standby.
Nous nous produisons encore de temps à autre en duo live, car même si nos vies personnelles ont pris des chemins divers, nous nous connaissons tellement bien musicalement que le plaisir de jouer ensemble est identique au premier jour.
Quelle est la ligne directrice de Ruta 5 ? Gérez-vous toujours le label à deux aujourd’hui?
Ruta5 est un petit label sans prétention qui met en avant une musique personnelle et originale selon notre vision de la musique électronique dansante. Il y a suffisamment de musique formatée qui sort aujourd’hui sur de gros labels ou en digital. Ce qui nous intéresse c’est tout le processus dans son ensemble, de la relation avec l’artiste à la distribution en passant par la pochette. Nous sommes assez artisanaux, nous aimons l’objet dans sa globalité. Et oui, nous le gérons toujours à deux.
Aujourd’hui la musique électronique est de plus en plus centralisée à Berlin et dans quelques autres villes européennes, penses-tu que la provenance de la musique ou les origines de ses producteurs soient toujours aussi importantes?
Berlin est incontestablement le vivier de la musique électronique européenne d’aujourd’hui simplement parce que tout le monde y va! Des artistes des quatre coins de la planète continuent à y emménager chaque année pour des raisons pratiques et simples: faible coût de la vie, liberté et proximité. Toute musique vient d’une inspiration, et je pense que l’environnement dans lequel nous nous trouvons en fait partie.
De part la proximité des artistes à Berlin, de nouvelles collaborations voient le jour constamment. Beaucoup partagent le studio, les fêtes, la vie. Cela influence clairement, pour moi, la production musicale de chacun. Et à la fin tout le monde sonne comme tout le monde.
Je ne pense pas non plus que l’origine ou la provenance d’un artiste doive se ressentir dans sa musique. Je n’ai pas besoin d’avoir une ligne de koto sur un track d’un artiste japonais ou du berimbau sur un track brésilien. Ça c’est du folklore, ou encore de l’ethnotechno et ce n’est pas mon truc. Par contre je crois clairement qu’un artiste gardera seulement sa propre sonorité en ne déménageant pas à Berlin…
Tu travailles à côté de ton activité musicale, pourtant tu es une dj connue et respectée pourquoi ce choix ?
Je n’ai jamais voulu dépendre de la musique électronique pour boucler mes fins de mois. Comme tout un chacun j’ai mon standard de vie, j’ai besoin d’être 100% indépendante et n’aime pas être dans le besoin matériel. Le concept de vivre de sa passion m’a toujours fait un peu peur, je n’avais pas envie d’en devenir une esclave.
Je suis avant tout une dj, et partir mixer tous les weekends demande beaucoup d’énergie et de motivation. Nous sommes des entertainers et nous devons arriver avec cette énergie afin de la transmettre au public. Pour moi il n’y a rien de pire que d’écouter un dj fatigué qui vient faire son taff et empocher son cachet. J’ai la liberté de pouvoir m’aménager régulièrement des semaines, voire des mois de pauses pour retrouver toujours ce même plaisir de partir jouer.
C’est une décision personnelle qui a ses avantages mais également ses inconvénients. Certains choix s’imposent obligatoirement – à moins d’être capable de ne dormir que 2h par nuit – et il faut savoir faire les bons afin de ne pas avoir de regrets.
Aujourd’hui mon travail se rapproche beaucoup de mes activités de dj et de production, vu que je fais du sound design pour documentaires et fictions. Cela facilite grandement mes choix, car finalement tout tourne autour la musique, ou plus généralement du son, et ça me plaît de pouvoir naviguer dans ce monde. Finalement j’ai simplement besoin de varier mes activités dans mon domaine de prédilection afin de rester créative et passionnée.
– Est-ce qu’avoir un travail à côté t’apporte une autre approche de la fête ?
La fête sous tous ses angles est nécessaire et bénéfique à tout un chacun, qu’il travaille la semaine ou non.. J’aime la fête et je continue à la faire, peut-être qu’il m’arrive parfois de rentrer un peu plus tôt car je suis souvent la dernière à partir.
– Tu travailles en tant qu’illustratrice sonore à la télévision, est-ce que cela impacte ta musique?
Cela n’impacte pas ma musique, à part peut-être le fait d’affiner mes sélections, par contre mon oreille, oui. Je fais également du montage son en multi-canal et cela a grandement développé ma façon d’écouter. Je suis également plus sensible à l’acoustique d’une salle, à la qualité d’un mix, à la place du son dans l’espace. Pour moi c’est plus difficile aujourd’hui de jouer dans un club ou le système n’est pas bon. Ça me fait mal aux oreilles.
Tu es également maman, comment arrives-tu à gérer tes multiples activités, t’imposes-tu des règles? As –tu déjà été amené à faire des choix déterminants à ce sujet ?
La seule règle que je me suis toujours imposée est de ne jamais avoir de regrets. On ne vit qu’une seule vie!