Samedi dernier, le festival rémois Elektricity s’achevait dans un endroit idyllique, le parvis de la cathédrale de Reims. A l’affiche étaient programmés Metronomy ainsi que les locaux Brodinski et The Shoes. The Shoes a littéralement mis le feu au parvis avec sa toute récente formation “The Penny Loafers Orchestra” qui regroupe les guests de l’album “Crack My Bones”, Woodkid, des choristes et 4 batteurs. La claque reçue ce jour-là était tellement immense qu’il nous était indispensable de demander quelques explications sur le phénomène The Shoes à la moitié du groupe, Guillaume Brière. C’est un personnage haut en couleurs, bavard et entier que nous avons rencontré.
– Bonjour Guillaume, peux-tu nous présenter The Shoes, nous dire comment vous avez démarré la musique et comment s’est opérée l’alchimie entre toi et Benjamin?
Avec Benjamin on s’est rencontrés en classe de 6ème, je faisais de la musique car mon père m’avait mis au pinao et ma grand-mère voulait absolument que je fasse de la musique. J’étais absolument très mauvais et ça me les brisait! Seulement, quand je suis arrivé en 6ème j’ai découvert le rap. Le premier 45 tours que j’ai acheté c’était un truc qui s’appelait “Nation Rap” (David Guetta & Sidney), je connais les paroles par coeur mais ça je ne m’en vante pas trop. A l’époque c’était ce que l’on appelait du New Beat et j’ai complètement flashé là-dessus. Comme je savais faire un peu de piano et que j’avais tanné tout le monde pour avoir un synthé, je pouvais faire semblant de faire du rap. J’ai donc rencontré Benjamin qui faisait de la mobylette et donc on s’est dit “faisons de la musique!”. On a très vite monté des groupes ensemble, notamment avec mon petit frère qui faisait de la batterie et qui, pour son âge, était un prodige. A 11-12 ans, il faisait déjà des concerts et jouait dans pas mal de groupes.
– Vous avez donc toujours joué ensemble mais dans différentes formations?
Toujours. On a monté je-ne-sais combien de groupes ensemble avec tout pleins de connards dont on ne sait absolument pas ce qu’ils sont devenus. Mais il y avait toujours Benjamin et moi. Cela fait maintenant 4 ans et demi que l’on joue en tant que The Shoes. Le début de ce projet a été long car on ne savait pas trop ce que l’on voulait faire. Comme on avait eu un petit succès avec le groupe d’avant qui s’appelait The Film avec qui l’on faisait du Rock’n’Roll, on avait gagné beaucoup de sous mais on a tout claqué et on n’avait plus l’envie, même si on voulait revenir dans la musique. C’était au tout début de l’électro 2.0 avec Boys Noize, Ed Banger et compagnie. En tant que producteurs, on était fascinés par ce son-là, même si au final on n’en a jamais fait car on ne sait pas faire ce son compressé à la Justice. Ca nous avait tellement mis une claque qu’on s’est dit “on va revenir a la musique” et ça a donné The Shoes.
The Shoes feat. Primary One – People movin’
– Comment qualifierais-tu votre son?
On fait de la Pop assez claire avec influences électroniques. Ceci dit, on ne se donne aucune limite, si on a envie de faire une chanson à la guitare sèche, on la fait. On fait de la Pop en somme. Je pense que ça reflète aussi l’âge que l’on a: ce son qu’on fait, on ne l’aurait pas fait à 20 ans. C’est un cumul de pas mal d’influences que l’on a eu le long de notre parcours.
– Tu fais énormément de choses différentes en dehors de The Shoes (avec ou sans Benjamin): de l’électro avec Gucci Vump (avec Brodinski), du Rap, de la Folk, du Blues… Comment fais-tu? Joues-tu de plusieurs instruments? Est-ce compliqué de gérer toutes ces influences à la fois?
Je ne suis pas un virtuose mais je sais jouer un peu de tous les instruments. Ca a été super long de trouver une cohérence dans toutes ces influences. En fait, ce n’est pas nous qui avons trouvé notre propre son. Quand on a enregistré à Londres, nous avons rencontré notre producteur, Lex (Crystal Castles, Wild Beasts, Teenagers, Golden Silver, Esser). On lui a fait écouter notre album (que l’on pensait avoir fini) et il nous a dit: “il y a des morceaux c’est vraiment de la merde” alors qu’il devait, au départ, seulement les mixer… On l’a d’abord pris pour un connard, puis on a réfléchi. Si ce gars-là nous dit que ce n’est pas bien, c’est que ce ne doit pas être bien. Effectivement, en ré-écoutant les versions que l’on avait amené, ce n’était pas bien du tout. Il nous a trouvé LE son et nous a refait travailler. Il nous a installé dans une pièce avec très peu de matériel car il trouvait que l’on en utilisait trop. On a tout re-condensé et refait pour créer une unité. On l’a donc enregistré 2 fois. C’est pourquoi notre premier album a été long à venir. C’est aussi pour ça que je continue à bosser avec Lex que ce soit pour The Shoes ou The Aikiu.
– Justement, parle-nous de The Aikiu, ce groupe n’était-il pas originellement produit par Pilooski?
Si, Pilooski avait essayé de les produire puis au bout d’un moment ils se sont un peu perdus en chemin donc ils m’ont appelé au secours pour finir le boulot. Evidemment, j’ai ré-utilisé certaines choses que Pilooski avait utilisé et on a complètement remanié la chose avec Lex. Leur album va vraiment être super! On a travaillé des mois et des mois, on leur a fait prendre un virage complètement différent. Cela n’a rien à voir avec le live qu’ils avaient fait pour la Foreplay #5. Du coup, c’est le son de Lex, une pop très claire et très large.
– Comment est-ce que The Shoes a l’habitude de travailler? Qui fait quoi, en live, en studio?
Il n’y a aucune place. Benjamin et moi faisons à peu près la même chose tous les deux, je suis un peu meilleur pianiste que lui, lui est un peu meilleur bassiste que moi, on fait nos bricolages chacun de notre côté, on s’envoie des débuts de morceaux et ça se fait rapidement.
– Même au niveau des paroles?
Les paroles, ce n’est pas nous qui les écrivons. Quand on invite des personnalités comme Esser ou Tim de Wave Machines, on ne va pas leur demander, nous petits français, d’écrire des conneries du genre “I love you baby”. Ce sont des auteurs qui écrivent, certes, ce n’est pas du Verlaine, mais ils ont leur univers, on doit le respecter et les impliquer plus dans nos morceaux. Je n’ai pas non plus la prétention d’écrire quelque chose de fin en anglais. Je trouve qu’il y a beaucoup de groupes français qui ont ce défaut. Et ils prennent toujours en excuse que l’accent français a un certain charme, mes couilles, ça n’a pas de charme l’accent français, ou que les anglais se foutent des paroles. Non, ils ne s’en foutent pas.
– J’ai plutôt l’impression que l’argument général est que comme le rock n’est pas français, on doit chanter dans la langue d’origine…
Le rap, par exemple, n’est pas français, et pourtant on ne sait pas pourquoi le rap s’adapte parfaitement à la langue française, et pourquoi le rap en français, ça fonctionne, alors que le rap allemand non… Par exemple, le rock en français, ça ne marche pas. Ca ne marchera jamais, c’est moche. Je déteste le rock français. Je chie dessus. Par contre j’adore certains groupes de rock français, mais quand ils chantent bien en anglais. C’est pourquoi on a arrêté de chanter, c’était nul. Je me suis rendu compte que, sur Reims, il y a beaucoup de bons groupes, mais il n’y a aucun bon chanteur. On se démerde tous, quand Yuksek, les Bewitched Hands ou Alb chantent, ça passe, mais aucun n’a une voix de folie, comme Woodkid par exemple.
– Cette année a été très riche pour vous, quels en ont été les points négatifs et positifs?
Comme je suis bien heureux, je peux dire qu’il n’y a pas trop de points négatifs, ce serait con de se plaindre avec l’année qu’on a eu. Au niveau des points positifs, je suis soulagé de voir que les gens ont écouté l’album. Dans la presse et les blogs, j’ai lu des choses qui m’ont vraiment fait plaisir, les gens ont réellement compris ce qu’on a voulu faire.
– Est-ce que tu as l’impression d’avoir fait un meilleur boulot que par le passé avec The Film ou autre?
Complètement. L’erreur que l’on a fait avant c’est de se dire que l’on pouvait tout faire tout seul. A partir du moment où l’on a ouvert le studio à d’autres instrumentalistes/ vocalistes/ mixeurs/ producteurs, je trouve que l’on a commencé à faire de la “bonne musique”. C’est une erreur de se dire que l’on peut tout faire tout seul, du moins, dans notre style. Dans un morceau on voulait faire du piano donc on a appelé Gonzales car c’est le meilleur pianiste que je connaisse. Ca a donné une toute autre dimension. Au départ, ça nous emmerdait qu’il change les accords, puis l’on s’est rendu compte que c’est toujours mieux.
– Est-ce que tu penses que le son de The Shoes s’inscrit dans une cohérence musicale qu’il y a à Reims?
Ce que je trouve intéressant à Reims, c’est qu’en regardant bien, il n’y a aucun groupe qui fait la même musique. Tout le monde sonne d’une manière complètement différente et c’est ce que je trouve vraiment cool, même si l’on se retrouve dans la façon de construire une chanson. Mais en terme de son, les Bewitched n’ont rien à voir avec Alb, Yuksek n’a rien à voir avec The Shoes, Brodinski suit sa ligne à lui… A un moment tout le monde voulait faire du Yuksek mais finalement chacun a suivi son chemin.
– Penses-tu que l’analogie avec la scène de Versailles est justifiée?
Il y a eu la même chose à Bordeaux ou à Rennes. Comme je dis toujours, je suis impatient de voir ce que sera la prochaine scène, ce sera peut-être Avignon, Brest ou j’en sais rien. Dans toutes les villes il y a des bons groupes. Notre particularité, c’est que l’on s’est tous un peu nourris des uns des autres. Avec The Shoes, on a accumulé pas mal d’expérience à Bordeaux où l’on a passé 7 ans (en tant que The Film), à jouer avec tous les groupes locaux de Garage, Rock, Pop… On a ramené une certaine fraîcheur je pense en revenant à Reims. Puis tout le monde s’est mis là-dedans. Ceci dit, Yuksek a tiré tout le monde et a montré que c’était possible.
– En parlant de Reims, si on t’avait dit il y a 10 ans qu’un concert réunissant 4000 personnes aurait lieu devant la cathédrale et que vous en feriez partie, l’aurais-tu cru?
Je ne réalise pas vraiment la portée de ce truc-là. On a fait un concert que l’on a énormément bossé. Je vois qu’il y a une symbolique, Reims, sa cathédrale, tout ça, ça me touche mais je ne me rend pas compte du délire. Je suis encore trop près du truc. C’est toujours spécial pour moi de jouer à Reims, j’ai toujours un stress de fou avant de monter sur scène, c’est trop important pour moi.
– A propos de ce concert, comment avez-vous pu adapter votre album et toutes ses collaborations au live? Cela a-t-il été un frein ou un avantage?
Ca a été une grosse contrainte dans la mesure où l’on ne s’était donné aucune limite pour l’album. Mon pote Guilhem Simbille (programmateur d’Elektricity) m’avait envoyé une vidéo d’un groupe qui s’appelle Laid Bach qui est un groupe complètement zare-bi avec une image à moitié Nazi, bizarroïde. En fond, on pouvait voir deux batteurs qui faisaient des gestes comme dans des galères. J’ai vu ça, j’ai halluciné. Je me suis dit, il me faut ça. Du coup, on a intégré les 2 batteurs, Das Galliano, au live. Au niveau des voix, on a ré-adapté les morceaux pour pouvoir les chanter nous-mêmes. Pour Anita, on a samplé sa voix et on a tout rejoué dans les MPC. Pour les groupes “éléctro”, le passage au live est toujours compliqué. Parfois, il vaut mieux rester DJ!
– Qu’est-ce que Penny Loafers Orchestra pour ceux qui n’auraient pas vu le concert? Pourquoi ce nom et pas Nike Air Max Orchestra?
C’est Guilhem Simbille qui a trouvé ce nom. Je lui tire au passage mon chapeau car ce concert s’est fait sous son impulsion. PLO c’est toute la bande qui était avec nous (13 en tout), c’est un orchestre bordélique. Au départ, Benjamin Pinard et moi avons créé The Bewitched Hands, je jouais de l’orgue. L’idée c’était d’être un maximum sur scène. Ensuite j’ai quitté les Bewitched, ils se sont resserrés sur autre chose, j’en suis d’ailleurs très fier, mais j’avais toujours en tête cette idée de gros bordel sur scène, c’est pourquoi l’on a créé cet orchestre à géométrie variable pouvant intégrer tous les guests (Anthonin des Bewitched, Esser…). On travaille comme une famille à l’image de Ed Banger ou Institudes par le passé, on est signé sur Green United Music avec Herman Düne, Esser ou Rocky (la nouvelle signature), Inès (la chanteuse) a d’ailleurs chanté avec nous. C’est un esprit de clan.
– Que pensez-vous de ces nouvelles formations qui, comme vous, font le choix de s’entourer de nouveaux collaborateurs (UNKLE, Gorillaz) ? N’avez-vous pas peur de perdre l’âme musicale du groupe? Jusqu’à combien aimeriez-vous être sur scène?
Avoir le syndrôme UNKLE ou Gorillaz est quelque chose qui m’obsède. Je ne suis pas un grand fan, mais le concert défonce. Clairement. Je voulais absolument faire quelque chose dans ce genre. Je ne pense pas qu’on le fera sur le prochain album. On aime ré-inventer des choses qui nous stimulent. On a déjà un concept et une pochette pour The Shoes II. Ce sont de vieilles influences que l’on a ressorti…
– Un peu comme George Michael….
J’adore George Michael! Encore un coup de cet enfoiré de Guilhem Simbille (avec qui Guillaume forme TOTP, duo de dj de mariage deluxe)…
– Est-ce selon vous une nécessité pour les artistes de redoubler d’efforts en live du fait de la baisse considérable des ventes de CD et de la situation de l’industrie du disque?
On aurait fait l’album de toute manière. Je trouve dommage de se dire que l’on doit se sortir les doigts du cul sur scène sous prétexte que l’on ne vend plus de disques. Le live, c’est la base! Et puis, je suis content de la situation actuelle de l’industrie du disque. Ca me fait kiffer.
– Pourquoi?
Parce qu’il y a de nouveaux enjeux, de nouvelles choses à inventer! Se retrouver dans la merde pousse à être plus créatif, je sais pas, ça me fait triper!
– Quels sont vos projets pour l’année à venir? Projets solos, nouvelles collaborations, vacances?
J’aime pas les vacances, donc je n’en prend pas. Il y aura un prochain disque des Shoes, les albums de Woodkid et Aikiu que l’on a produit. On va continuer la production dans d’autres styles comme on a fait pour Gaëtan Roussel par exemple, on adore faire ça. D’ailleurs on a eu les Victoires de la Musique et un double disque de platine! Ce grand écart musical nous fait délirer. On va également sortir une mixtape avec Gucci Vump composée d’instru de “Screw Music”, une musique très lente à 60 bpm, du hip-hop très ralenti. Elle s’appelera Stone Beat.
– Justement, en utilisant vos talents de production pour d’autres artistes, n’avez-vous pas peur de perdre votre inspiration?
Non car à chaque fois, ça nous donne plein d’idées, des fois on propose un truc et les artistes n’aiment pas, du coup, on le garde pour nous! Ou parfois, ces mecs nous poussent à faire des choses que l’on aurait pas fait autrement. Comme le dit si bien Anthonin des Bewitched, la création musicale, c’est comme un muscle, plus tu le stimules, plus tu as de la ressource. Ca devient comme de l’écriture automatique.
– Pour finir, si tu avais 3 albums à emporter sur une île déserte, lesquels choisirais-tu?
“Harvest” de Neil Young… (hésitations). C’est vraiment une question d’enfoiré! C’est dur… Le premier Wu-Tang et … (Tu fais chier), “Screamadelica” de Primal Scream!
– Tes coups de coeur de l’année?
Les deux derniers disques de The Horrors. C’est un des groupes les plus dingues du moment! “Heaven” de Emily Sandé, du Breakbeat anglais à l’ancienne avec de la vieille Jungle. Ca ressemble à une prod d’il y a 10-12 ans, ça m’a époustouflé! J’ai bien aimé WU LYF, même si parfois j’ai envie de leur dire “Arrête de chanter!” En rap: Rocky Asap
– Tes cartons rouges?
Pendentif! J’aimais beaucoup et là, ils m’ont beaucoup déçu, vraiment. Pendentif, allez vous faire enculer!
THE SHOES – Stay the Same by NEUE from NEUE on Vimeo.